Qu’est-ce que 2001, l'Odyssée de l'espace au final ? Un monument du Septième Art, incontestablement, « vieux » de cinquante ans mais pouvant se targuer aisément de compter autant d’années d’avance sur son temps. Portant la minutie à son paroxysme, Kubrick se fend ici d’une précision chirurgicale à la hauteur de son sujet, au point de l’élever par-delà le simple environnement spatial : une œuvre n’ayant donc rien à voir avec Star Wars, lui qui empruntera une décennie plus tard la voie de l’entertainment « casual »... mais la comparaison n’ayant guère de sens, revenons à nos moutons lunaires.


Le découpage net du film en quatre actes offre l’illusion d’une structure narrative pédagogue, celui-ci faisant la part belle à un riche sous-texte offrant une myriade de lectures possibles : ainsi parachuté dans un vide vertigineux, le spectateur se voit assujetti au potentiel spéculatif infini d’un « récit » pensé comme tel, ses accents épico-métaphysiques décuplant fort justement ses prétentions. Volontairement libre d’interprétation, 2001 ne saurait d’ailleurs se réduire à une unique thématique, le champ fertile de l’Humanité se déclinant ici en un entremêlement grisant d’étiquettes connexes, le tandem Kubrick et Clarke visant à nous confronter aux mystères insondables de l’existence... tout en distillant ci et là des bribes de « propositions ».


La forme d’une telle démarche l’emporte alors sur le fond même : la trame se voit ainsi suspendue à la signature orchestrale d’une musique omnipotente, son envergure dantesque liant séquences cultes et progrès au silence assourdissant du cosmos. Couplée à une mise en scène irréprochable, sans fioriture et sciemment figée, la narration de 2001 privilégie donc le poids des icônes et l’universalité d’arrangements sonores à même de transcender les frontières de tout ordre... là où les mots auraient, eux, échoué. Il n’est donc pas surprenant de voir les dialogues et autres répliques être relégués à bien peu de chose, quitte à déshumaniser les rares protagonistes parcourant le long-métrage.


Si là n’était pas son objet, nous pourrions toutefois émettre des réserves quant à un tel traitement, la froideur atmosphérique du tout paraissant contaminer les Bowman and co. Nulle empathie à l’horizon donc, 2001 préférant miser sur la tension latente et terrible de péripéties aux antipodes du fantasque : on en vient donc à guetter un semblant de panique chez le suscité, une maigrelette goutte de sueur venant récompenser nos attentes... si l’effet est, dans la pratique, des plus captivants, il y manque tout de même un petit quelque chose. Mais, encore une fois, la logique du film se tient, celui-ci restant fidèle à ses principes tout du long : certainement pessimiste dans son essence, si ce n’est réaliste quant à l’isolation inexorable de l’Homme et les limites de l’intelligence artificielle (ou de la technologie en général, nullement salvatrice au bout du compte), 2001 dresse un tableau remuant confinant à de sombres hypothèses.


Quand bien même il égrainerait des pistes « extra-terrestres », le mécanisme est loin de répondre à nos interrogations enfiévrées au détour d’une ultime séquence en roue libre (sans mauvaise connotation) : car par-delà la présence de « balises » monolithiques pernicieuses, les multiples tours de force formels qu’opère 2001 se parachèvent bien au gré d’un « Beyond the Infinite » ni plus ni moins renversant, incroyable et j’en passe et des meilleurs. La composante obscure du dénouement s’ensuivant, naturellement, nous place pour de bon au pied d’une ascension démentielle, comme si l’évolution bouclait la boucle au sortir de cette inquiétante réplique d’une suite d’antan.


À défaut de susciter une franche adoration, gageons donc que le chef d’œuvre de Stanley Kubrick fascine à n’en plus finir : un film fondamental, expérimental et inoubliable ayant marqué l’histoire du cinéma et encore et encore des générations de spectateurs. Avec un demi-siècle au compteur, la prouesse est d’autant plus remarquable qu’elle prend tout son sens à l’orée d’une Humanité, aujourd’hui, tenaillée entre progrès technique exponentiel, conquête spatiale croissante et un futur des plus troubles. Une claque élémentaire en somme.

NiERONiMO
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le 9 déc. 2018

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