Il est assez extraordinaire d'entrer dans ce film, de s'en laisser bercer. C'est une promenade galactique qui explore la métaphysique, interroge l'espèce humaine et son rapport à l'espace, soit l'infiniment petit, relativement, face à l'insondable vide qui entoure toutes choses et nous rend bien anecdotiques. La fascination de la bête évoluée que nous sommes dès les prémices de son évolution pour ce que la nuit nous laisse à peine percevoir, pour ce que nous ne pouvons appréhender dans son entier.

Tout commence par une magistrale séquence d'ouverture retraçant l'aube de l'humanité, l'humanité encore simiesque, la terre encore inexplorée, la conscience encore animale et l'instinct uniquement dirigé vers la survie.
D'un point de vue technique, c'est magistral, mais c'est Kubrick.
Survient l'inconnu, l'étrange, le parfaitement géométrique à une époque où le géométrique n'existe pas encore ici-bas (on ne trouve pas de ligne parfaitement droite dans la nature). Une pierre surgie d'on ne sait où, monolithe précipité de l'espace peut-être, allez savoir.
Alors les choses changent, imperceptiblement. Les singes s'emparent d'os comme d'outils, puis les outils comme arme. L'humanité qui trouve un moyen d'asseoir sa domination commence ici et, dans une ellipse savoueureuse, un jet d'outil se transforme en vaisseau spatial, comme si c'était la suite directe, comme si l'entre deux n'avait pas d'importance.

Plus tard, nous avons colonisé la Lune, et commencé les fouilles et les travaux sur le satellite. C'est alors que le monolithe est réapparu, dessablé par les terriens. Tel un témoin (ou un acteur?) des grandes étapes de l'évolution.
C'est l'occasion pour le réalisateur de faire montre de sa créativité dans des longs plans de vaisseaux spatiaux, inventant la science-fiction contemplative, misant beaucoup sur son atmosphère, sa mise en scène, son montage et ses effets. Il raconte l'inconnu, le merveilleux, et de ce point de vue, il ne peut se contenter d'un bref plan sur un atterrissage de navette sur la Lune. Non, celui-ci comme tant d'autres est léché, intriguant, envoûtant.
Peu après, sur un vol vers Jupiter, un ordinateur à l'intelligence artificielle et à l'instinct de survie assassin (donc humain) pète les plombs et s'en prend à l'équipage.
Nouveau virage du film qui prend un rythme inattendu, duel de l'homme contre la machine, de l'homme contre sa propre création, sorte de Pygmalion moderne confronté aux désirs propres de ce qu'il croyait maîtriser, un Pygmalion dont l'objet de son travail va se transformer en menace. C'est la rébellion de l'esclave dont, pour qu'il soit plus performant et plus serviable, on avait donné les quasi pleins pouvoirs à bord et l'ubiquité (ou se cacher, lorsque la lecture sur les lèvres remplace les oreilles ?).
Duel qui finit dans une étrange et épatante tirade d'agonie, couronnant une scène effarante où l'action dans l'espace silencieux prend des allures d'instant éternel.
Puis vient la dernière partie, la plus déroutante. On peut l'estimer trop longue, dans la mesure où les effets spéciaux qui la pychédélisent (allez je l'invente celui-là) sont dépassés (ce qui est rarement le cas des effets précédents). Mais cette longueur n'est pas inutile, loin de là. Des multiples indices sont cachés dans ce brouillard coloré, et après tout, il s'agit d'un voyage au-delà de l'infini, au-delà de la conscience, ça n'allait pas se faire en dix secondes non plus.
J'ai ma propre théorie sur la fin ainsi que sur le sens général du film, mais je ne l'expose pas pour la bonne et simple raison qu'elle serait fausse et vraie à la fois. Kubrick s'est bien gardé de donner des directions trop précises à l'interprétation, la laissant ainsi libre à chacun.

Bien entendu qu'il y a du Nietzche là-dedans : l'homme singe, l'homme machine, le surhomme, le foetus astral comme éternel retour telle une aube nouvelle pour l'humanité ayant dépassé sa condition (je vous mets ces puissants thèmes philosophiques en grand résumé et pêle-mêle, à fouiller de votre côté si le parallèle nietzschéen vous intéresse) direction de lecture confortée comme l'a noté Michel Ciment par l'utilisation à plusieurs reprises de l'ouverture par Richard Strauss d'"Ainsi parlait Zarathoustra". (Nietzsche ayant été étudiant féru du zoroastrisme et ayant consacré un livre dont le titre est similaire à l'oeuvre de Strauss au sujet).
Mais point n'est besoin d'être en possession de ces hautes références lettrées (je ne l'étais personnellement nullement avant de voir le film et d'aller ensuite chercher des informations à son sujet) pour apprécier le film, festival de scènes cultes (magique utilisation du Beau Danube Bleu par un autre Strauss, Johann, flippant grondement instrumental et vocal du Lux Aeterna de Ligeti sur les apparitions du monolithe, longs travellings dans des couloirs qui tournent pour créer une pesanteur artificielle); bijou de réalisation; impeccable symphonie de science-fiction; fable cosmique resituant l'homme et son histoire dans l'espace mystérieux ; sur un segment film à suspense informatique; parangon de l'oeuvre d'art cinématographique.

Culte et absolument unique.
Oneiro
9
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le 5 févr. 2013

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Oneiro

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