Esquisse de l'espace, du temps et de l'évolution humaine

A l'aube de l'Humanité en son berceau, s'érige un monolithe noir, objet inerte et insondable. Des êtres primitifs s'approchent puis tournent autour: représentation en apparence irréelle et anachronique. De cette présence si étrangère, si difficilement concevable et potentiellement tellement supérieure, émane quelque chose du domaine de la mythologie.
Au cours de cette scène inaugurale («The Dawn of Man») on assiste à ce qui semble être la genèse de l'évolution humaine. Un premier palier est franchi dans ce qui sera une quête sans fin de l'être humain pour la connaissance, quand en se saisissant d'un os jusqu'alors sans propriétés ni fonctions discernables, un membre de la tribu en perçoit subitement par intuition et réflexion l'utilisation qu'il peut en faire; celle d'une arme avec laquelle frapper et tuer.
Dans ce tableau des origines de Kubrick l'être humain naissant est enclin par nature à la violence, est mû par une volonté instinctive de domination de ses semblables et n'aura de cesse au cours de son évolution de rechercher les voies et moyens d'assouvissement de cette nature profonde.
Dans un silence vertigineux d'éternité ponctué par les cris primitifs d'êtres en mutation, l'instinct primal s'estompe. Avec des connaissances toujours plus grandes comme base à ses réflexions l'être humain fondera et exercera sa domination par le raisonnement et en se projetant dans l'avenir.
Comment imaginer de plus grandes mises en abîme que cette introduction, conclue par Also spracht Zarathustra de Strauss (en allusion au surhomme de nietzsche) et par l'image de l'os jeté en l'air qui par une ellipse se fond dans l'image d'un vaisseau spatial. Allégorie que ces deux objets, qui dans cette transition ne forment plus qu'un, d'une destinée humaine ayant évolué très au-delà de sa condition primitive.

La «destinée», ce mot colle bien dans cette brève histoire de l'Humanité. L'Homme semble suivre les rails préposées de l'évolution plutôt qu'il n'avance sur la ligne du temps par libre-arbitre.
En effet, quelques millions d'années plus tard un deuxième monolithe est découvert sur la Lune avant qu'un troisième ne soit repéré aux abords de Jupiter. L'évolution semble ponctuée de monolithes.
Dans ce temps présent, l'Homme pleinement conscient de ses possibilités, navigue sur les voies qui lui permettent de laisser son empreinte dans l'Histoire.
Kubrick nous montre l'exercice d'une domination beaucoup plus subtile qui privilégie la diplomatie entre les nations, le secret, les subterfuges et les faux-semblants. Avec pour décors l'espace, une station spatiale internationale (sorte de lieu de concorde des nations avancées), et la Lune où vient de se produire un événement considérable et sidérant: la découverte d'un monolithe noir.
L'espèce humaine en quête d'accomplissements, dominante par nature, confiante en ses aptitudes, capable de parcourir le système solaire, de développer et maîtriser l'intelligence artificielle (...) se voit imposer subitement à l'esprit la probabilité ou la certitude de l'existence d'une intelligence supérieure et venue d'ailleurs.
Dans l'irrésistible attraction de cet objet de stupéfaction et de fascination l'esprit de conquête humaine nous entraîne dans une indicible odyssée: «Jupiter and beyond the infinite ».
Sur cette dernière marche vers la découverte ultime on assistera à l'étrange comportement d'une Intelligence Artificielle à l'œil rouge scrutateur manipulant ceux qu'elle est sensée aider et qu'ils sont censés contrôler. C'est en quelque sorte un point de bascule de l'Histoire, ce moment où les astronautes désignés pour l'accomplissement d'une mission d'une importance extrême, sorte de héros au visage hermétique, presque dénués d'expressions hormis celles de leur sérénité et de leur confiance en leurs compétences, perdent la maîtrise des événements. Comme en opposition à toutes les certitudes humaines depuis les temps lointains.
Le temps semble alors s'accélérer et l'espace se plier en une voie de passage vers une sorte d'outre-espace. On est embarqué dans une plongée vertigineuse vers le but ultime, vers l'Ailleurs que présageait le monolithe, point final d'une odyssée dont la conclusion nous laisse entrevoir le commencement d'autre chose.
On en restera sur ce sentiment où se mêlent depuis la première minute subjugation et contemplation, démultipliées par un art génial de l'image, de la mise en scène et de la perspective.


Dans ce tableau sans limite Kubrick n'aura jamais abuser du verbe. Il aura laissé libre cours à la perception et à une forme de compréhension totale que ne permettent pas les scénarios inutilement alambiqués ni les explicitations verbeuses. Nulle recherche d'intellectualisation donc par des propos creux, ni à contrario par une parole trop précise et complexe pour une œuvre de cinéma. Il préfère laisser au silence sa puissance d'évocation.
Les sujets abordés sont multiples et vastes. Intelligence: primale, évoluée, artificielle, venue d'ailleurs. Philosophie, métaphysique, astrophysique, anthropologie. Bref les perceptions, les évocations, les sentiments, les questionnements de tous ordres (…), c'est de tout cela dont il est question dans 2001 L'Odyssée de l'espace, œuvre pure et épurée, à la fois d'une grande simplicité et d'une profondeur inouïe.
Nul mysticisme ni trip psychédélique mais un voyage jusqu'aux confins de la connaissance, une confrontation de l'Homme à ses limites dans la trame incommensurable de l'espace et du temps, et une mise en perspective à la fois minimaliste et grandiose de la plus grande des odyssées.
Une œuvre sans commune mesure avec les films de science-fiction qui l'ont précédés et ceux lui ayant succédé.

Dhaulagiri
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le 7 nov. 2017

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Arnaud.S

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