2010 : L'Année du premier contact par Mickaël Barbato

Le film a la bonne idée de vouloir s'affranchir du masterpiece intouchable de Kubrick, mais la façon de faire donne un gros handicap au film de Hyams. On passe d'un résumé de 2001 à une première demie-heure où on se farcie plus de dialogue que quatre fois le film dont il est la suite... Ces dialogues, non contents d'être assez mal écris, vont à l'encontre de l'univers, la vision de Kubrick. Et on écarte a dernière image du foetus spatial arrivant sur Terre, ce plan n'a aucune portée ici.

Il est très difficile de se rentrer dans l'univers de ce film. HAL est remplacée sur Terre par... SAL, équivalent féminin au rayon bleu pour bien souligner le changement. Le tour de force de Kubrick et son équipe, véritables devins qui ont vu le 16/9 et l'écran LCD, n'est pas renouvelé ici et ce n'est pas le PC portable vu au détour d'un plan (un monstre) qui dira le contraire.
Hyams s'efforce, et on ne lui en voudra pas tant le poids sur ses épaules était lourd, de garder un semblant de cohésion visuelle. Grossière erreur car si il s'en sort sur les intérieurs, les plans spatiaux eux ne peuvent au mieux que "rappeler". On pense à la sortie dans l'espace, qui ne manque pas de moyens mais dont le résultat fait rire tant il n'est pas maîtrisé. Howard The duck fait moins faux, c'est dire. On regrette aussi un aspect beaucoup, mais alors beaucoup plus factice des équipements et des décors, à mille lieux de 2001. Tous les plans dans les cockpits seraient plus à comparer avec Star Trek qu'avec son illustre prédécesseur qui représente, encore aujourd'hui l'Everest des décors...

Artistiquement, il était de toutes façons évident que ce 2010 allait droit dans le monolithe. Quand au scénario... L'histoire n'était jusqu'ici qu'une redite des éléments finaux, et ce sans aucune finesse. Discovery One a disparu, et seul un message est revenu jusqu'à la Terre : "c'est plein d'étoiles". Professeur Heywood, joué par un Roy Scheider pas du tout impliqué, veut retourner là-haut pour comprendre. C'est aussi le cas des russes, et eux sont proches d'y aller. Alors, Heywood et l'inventeur de HAL 9000 s'incrustent. On pouvait imaginer quelque chose de plat, mais pas à ce point.
Mais ce qui gène surtout est ce total retournement de la situation politique exposée dans 2001. Kubrick décrivait des rapports américains-russes pacifiés. Enfin, il a surtout eu l'intelligence de le sous-entendre car là était une force de 2001 : la force d'évocation, et non le "je te met tout dans la gueule". Ici, on fait donc demi-tour et on nous replace en pleine guerre froide. Aberrant.
La forme est beaucoup plus académique. Par exemple, point de travail sur l'ellipse. Les personnages n'ont aucun relief et se cantonnent à des clichetons bien vilains, dont l'accent russe à pleurer de rire. L'envie de donner au spectateur quelques clins d'oeil à 2001 est aussi caduc. Ainsi, Keir Dullea revient au détour d'une séquence très mal intégrée à l'histoire. Imaginez, on passe d'une séquence spatiale importante comme les retrouvailles avec le monolithe de Jupiter, à un plan dans une cuisine humaine où l'ex-femme de Dave reçoit un appel de son présumé défunt mari... Bordélique, et forcé.
Mais le pire reste cette envie de donner des réponses. Ce 2010 est en fait une sorte de "2001 pour les Nuls" (j'aime cette collection, donc pas de jugement). La deuxième partie veut donner une raison évidente, compréhensible par le grand public, de l'action de HAL 9000. Et c'est ainsi que débute la partie la plus navrante du film, qui atteint des sommets lors d'un dialogueentre Scheider et David sous la forme de foetus stellaire... Embarrassant.

La dernière partie du film voudrait faire de HAL 9000 ce qu'on sait tous qu'il est : un processus capable de sentiment, donc de ressentiment. Mais on le sait ça, pas la peine de nous bassiner d'un dialogue de dix minutes (montre en main) pour le faire comprendre... Puis intervient le gros WTF du film. Un "bouquet final" en forme de Europa absorbant des miliers de monolithes pour donner une énome explosion. Sans aucune raison autre que créer une séquence de suspens entre l'équipage russo-américain et HAL 9000 (va-t'il nous permettre de partir ?). Puis hop,tout le monde remballe, avec un message sur fond de Ainsi parlait Zarathoustra : "All these worlds are yours except Europa attempt no landing there use them together use them in peace".
La toute fin achève l'auto-massacre. Une dernière phrase qui veut tout dire, dans un monologue quelconque qui parle encore d'une guerre froide qui n'existait plus dans 2001 : "je ne sais toujours rien du monolithe". Triste constat dans un film qui fait pourtant tout pour nous expliquer tous les tenants et aboutissants du film de Kubrick.

Au final, il est très difficile de sortir quelque chose de cette "année du premier contact" (mais quel contact ?). On peut tout au plus être satisfait de l'image, plutôt belle, et des SFX étonamment bons. Tout le reste est à jeter, ne devrait pas exister.
Bavaria
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le 30 juil. 2012

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