« I don’t need a book to know about myself », clame Annette Bening à son fils, qui vient de lui citer un extrait d’un ouvrage féministe aussi poétique que convaincant. Cette réplique, un peu inattendue et même maladroite pour une femme qui cherche comme elle le peut à éduquer son fils ou du moins à rester en contact avec lui, pourrait presque se retourner contre le film entier.
20th Century Women ne semble en effet faire l’économie d’aucune leçon sur la vie, et particulièrement celle des femmes éponymes : de la jeune adolescente perdue dans les aventures sans lendemain à la cinquantenaire émancipée mais seule, en passant par la punk compensant ses tendances dépressives par la créativité et le radicalisme féministe, le panel est large. Au milieu de cette ruche vrombissante, à la fin de 70’s et des illusions qui les bercèrent, un jeune garçon de 15 ans qui tente, tant bien que mal, de construire des repères, aussi paumé, dans un premier temps, que pourrait l’être le spectateur.


Si l’on ajoute à ces ribambelles de thèses une B.O de Roger Neill assez const(ern)ante, quelques effets visuels franchement discutables (lors des road trips, les paysages défilent en arc en ciel à vitesse rapide…), une photo laiteuse qui rappelle la touche indy assez détestable des films les plus fades (mode Last Day of Summer), le naufrage est assuré.


Et pourtant.
Deux éléments, avec toute l’objectivité qui caractérise un spectateur de goût, suffiraient à sauver toute cette entreprise : Elle Fanning, d’abord, et les Talking Heads qui trouvent un rôle déterminant dans leur musique qualifiée par ses détracteurs de Fag Art, ce qui occasionne bien des débats dans la maisonnée.


Je vous l’accorde, tout cela peut ne pas peser bien lourd.


En réalité, la réplique d’Annette Bening est effectivement d’une grande lucidité, et Mike Mills joue assez malicieusement avec les poncifs. Ces trois femmes, un peu trop représentatives de ceux de l’archétype féminin, se cassent à plusieurs reprises les dents sur la grandeur de leurs ambitions ou l’étendue de leurs illusions. Le contrepoint apporté par le personnage du jeune garçon dont on se charge maladroitement de faire l’éducation porte avec finesse tous les ratés, la part d’indicible inhérente à toute relation, et l’impossibilité d’un contrôle total par la verbalisation.
La mère (Annette Bening est assez formidable, assumant pleinement son âge et ses failles) pontifie en essayant de faire l’impasse sur ses propres désastres, l’artiste ne mesure pas que le punk brûle ses derniers feux de paille, et l’adolescente croit faire de son immaturité amoureuse la preuve d’un absolu… Le travail sur le son participe de cette distanciation : les voix off proposent des anticipations sur ce que sera le futur, remisant un présent dans une péremption imminente, de la même façon que les portraits attestent d’une maturité extra-diégétique assez intéressante. Le son in, par instant mis au second plan (procédé dont Malick abuse dans ses derniers films), accroit cette impression d’un regard doté d’un recul que ne semblent pas pouvoir avoir les personnages eux-mêmes. La cohabitation des différentes musiques (Black Flag, The Raincoats, Talking Heads, donc…) en phase avec une époque qui hurle sa misère, ou d’autres temps (le jazz des ainés) navigue comme d’une station à l’autre, sans qu’aucune stabilité ne puisse être de mise.


La citation explicite de Koyaanisqatsi, filmé à l’époque même du film, parachève cette clé de lecture : Mills contemple ses personnages depuis une autre temporalité, à une autre échelle ; par cette distance, il ne les regarde pas de haut, mais révèle davantage, avec bienveillance et compassion, leur profonde humilité.

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le 13 juin 2017

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