24 Frames : l’expérience imagière connaît son climax

Critique écrite dans le cadre d'un devoir d'analyse filmique


Présenté au festival de Cannes de cette année dans le cadre de la section « Évènement 70e anniversaire », l’œuvre ultime d’Abbas Kiarostami range définitivement le cinéaste iranien décédé le 4 juillet 2016 du côté des bidouilleurs de génie du 7e art.



Une méthode minimaliste de l’art du récit




Je me suis toujours demandé dans quelle mesure l'artiste
entend représenter la réalité d'une scène.
Les peintres ne capturent qu'une
seule image de la réalité, et rien de l’avant ou de l’après.
Pour 24 Frames, j'ai commencé par représenter des peintures célèbres, avant de passer des photos que j’ai prises au fil de ces dernières années.
Je présente en quatre minutes et demie ce que j’imaginais
avoir eu lieu avant ou après chaque image capturée par mes soins.



Les premières minutes englobent le spectateur dans la définition même de l’art cinématographique : un ensemble d’histoires. La première séquence reproduit effectivement par animation numérique les Chasseurs dans la neige, de Brueghel l’Ancien, en accentuant le mouvement sur la neige tombante à gros flocons et le déplacement d’un chien et d’un corbeau sur le jardin enneigé.


24 Frames, ce sont 24 récits au sens le plus stricte du terme rappelant le format d’un court-métrage des Lumière. 24 récits visuels de cinq minutes sans élément narratif notable, mettant en scène dans 24 décors les choses qu’on ne raconte pas dans une mise en scène classique. Ni même une voix off ici ne prend en charge ce que transmet l’image, celle-ci à elle-seule balisant la révélation spirituelle naissante chez le spectateur.



La question du temps long, exercice délicat et sensible



Tout en prenant le risque d’ennuyer le spectateur, l’œuvre de Kiarostami propose différentes suites d’images, souvent rendues indescriptibles par la richesse de la narration esthétique (invitant le spectateur à choisir l’objet sur lequel il va prêter son attention) et dont la lenteur nous fait ressentir la pénibilité de certaines scènes. Notamment, le bord de la plage pluvieux du septième encadrement, orné d’une barrière occupée actuellement par une couvée d’oiseaux, imageant une certaine idée d’emprisonnement pour le premier oiseau s’y étant posé, à côté duquel deux comparses s’installent en l’ignorant. Parallèlement, ce peut-être la mise en scène du temps qui se lève. L’ennui produit un certain rapport à la réalité du temps qui passe et à l’ennui du décor. Cette dimension de cinéma narratif, parvient comme nul autre procédé à nous faire ressentir de la compassion, tour à tour pour un troupeau de vaches, des pigeons, une parisienne chantante, ou encore un tas de sable face à une marée montante.



Le paysage, toujours le paysage



N’importe qui connaissant un tant soit peu Kiarostami le connaît féru éternel du paysage, du village iranien du Koker de Où est la maison de mon ami ? (1987) et Et la vie continue (1992) au village toscan de Copie confirme (2012). Cet enjeu narratif, tiré des peintures du Moyen-Âge et investit dans un premier lieu par Griffith au sein de ses premiers projets, synthétise les techniques propres au cinéma, avec le paysage comme témoin du destin d’individus et d’objets suivis à fleur de peau, en plus d’un rapport très concret entre le sujet (humain ou objet) et l’environnement, et même souvent, une certaine indifférence de cette dernière face aux hommes. Le paysage remplit volontiers les fonctions du Grand Imagier, maître de cérémonie par excellence de la procédure de création d’un film, en livrant cette brillante réflexion sur le temps et le mouvement, où chaque seconde regorge de détails, d’images, d’idées narratives, contemplatives, poétiques ou politiques.


24 Frames est une expérience enrichissante et cinéphile, clôturant audacieusement bien une carrière riche de cinquante ans d’avant-gardisme flottant, montrant que la moindre seconde capte une quantité astronomique de fragments de vie.

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le 26 juin 2021

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