31 m²
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31 m²

Court-métrage de Durendal (2010)

Le film devant lequel Citizen Kane ressemble à un téléfilm NRJ 12

Ayant revu 31m² pour la 48ème fois et étant toujours sous le choc devant cette œuvre démiurge et audacieuse, je me dis qu'il serait temps de remettre les pendules à l'heure. Ce film est à réévaluer, il faut faire l'effort d'oublier tout ce bashing qui le plombe injustement. Après tout, peu de gens avaient aimé Blade Runner à sa sortie, il suffit de voir où ce film en est aujourd'hui pour comprendre que le grand public peut se tromper lourdement.


Il y a énormément de choses à dire sur 31m², film de Cinématographe absolu, écrasant toutes les conventions établies en 120 ans de cinéma. Durendal, de son vrai prénom Timothée, a l'audace et l'intelligence d'être à la fois le réalisateur, l'acteur – que dis-je, Modèle – principal ainsi que le monteur son et enfin l'artisan de génie derrière les effets spéciaux saisissants qui seront encore en avance sur leur temps le jour où Avatar 5 sortira. Un génie, c'est ce qu'est Durendal.


Tout d'abord, sa prestation n'a pas d'égal. Son jeu semi-autiste voire parfois sans expression semble tirer ses influences des films de Bresson (Pickpocket, Un Condamné à mort s'est échappé, Nikita...). Durendal a compris, il sait ce que doit être le cinema : ne pas se mettre dans la peau d'un personnage imaginaire, car cela appartient au théâtre. Il faut y insuffler sa propre âme et évacuer tous ses sentiments extérieurs afin que le spectateur puisse percer la coquille du personnage et découvrir son essence telle moïse découvrant les tables de la loi. La scène où, empreint d'une profonde mélancolie élégiaque, Durendal se met à regarder à la fenêtre comme à la recherche d'un idéal, d'une issue, d'un voyage, rappelle les films de Michael Mann dans lesquels il y a toujours des gens qui regardent au loin par la fenêtre avec un air dépressif. La très longue durée de ce plan n'est pas là par hasard, c'est pour faire ressentir au spectateur ce sentiment d'attente et d'imprévu et mieux le surprendre par la suite. Du génie.


À la manière de ce jeu d'acteur si particulier, la mise en scène semble elle aussi prendre la voie de l'épure et de l'austérité. Les plans statiques de certaines scènes se confrontent à d'autre scènes plus cutées, plus vivaces. Cela créé des ruptures de ton et de vitesse constantes et peut choquer le spectateur lambda qui ne serait pas préparé à ce genre d'audace visuelle.
Les séquences sont toutes filmées dans un appartement parisien et atomisent le travail d'un Haneke ou d'un Verhoeven tant elles semblent plus réalistes. En effet Durendal accepte sa condition d'étudiant fauché et filme l'entièreté de l'action dans un appartement de merde surement trop cher de l'est parisien, et n'oublie pas de se vêtir à la manière d'un mannequin Kiabi et de porter des lunettes que même Eva Joly n'aurait jamais osé porter. Ainsi ce film de zombie en apparence banal se mue en pamphlet politique sur la condition précaire des étudiants parisiens. Bouleversant.


L'autre détail non moins important qui saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, est le mixage son, effectué par Durendal lui-même. Autant vous dire d'emblée que l'on a jamais rien entendu de tel, même le film expérimental le plus fou n'aurait jamais osé traiter le concept du son de cette manière. Les voix sont constamment baignées dans une sorte d'océan sonore, de magma sensoriel, à la fois rassurant mais aussi parfois angoissant, voire tétanisant. On comprend peu les dialogues des personnages, mais c'est justement l'essence du cinématographe : Durendal prête peu d'attention à la compréhension de l'histoire, ce n'est pas important, c'est même un concept bourgeois; ce qui est à privilegier est plutôt l'expérience sensitive et le trip purement esthétique de cet OVNI. Cet écho lointain couvrant les dialogues du film rappelle les bruits de la nature dans les films de Hou Hsao Hsien (notamment le récent The Assassin) qui sont souvent mixés par dessus les voix, à la différence que dans 31m² on a jamais l'impression de voir un documentaire National Geographic pour bobos avec des samouraïs volants.


Enfin, impossible de passer à côté du propos politique, lancé in media res par cette discussion à tendance nihiliste merveilleusement bien écrite entre Durendal et sa copine au début du film, exposant en quelques secondes la situation géopolitique mondiale, avec même quelques touches d'absurdité Desprogienne.


Et quand le film touche à sa fin, on ne peut qu'être tétanisé et abasourdi devant tant de cruauté amorale mais, malheureusement aussi, de vérité frappante. On peut y déceler à la fois une métaphore et une prophétie de l'Amérique de Trump (le film date quand même de 2010 !!), où les gens pensent que tout va bien mais en fait non et sont tous zombifiés par le système.


31m² est un film à la fois magistral et déchirant sur un amour brisé, se muant en diatribe politico-amère et sensorielle, mené d'une unique main de maître, celle de Durendal. Combien de fois ce film m'a-t-il réveillé en pleine nuit tellement il avait envahi mes pensées ? Combien de journées ai-je passé à tenter de déceler les signes et détails cachés dans le film afin d'y voir des niveaux de lecture supplémentaires ? (Nolan peut s'auto-enterrer tout de suite on lui en voudra pas)


Un chef d'œuvre ultime et révolutionnaire qui rendrait Orson Welles, Sergio Leone et Zack Snyder fous de jalousie.

Yoelrbh
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le 23 sept. 2017

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