A l'origine de ce film, un fait divers: le 13 mars 1964, à New York, Catherine Susan "Kitty" Genovese fut sexuellement abusée et assassinée en pleine rue, près de son immeuble à Kew Gardens sans qu'aucun des 38 voisins alertés par ses cris n'ait tenté d'intervenir. 40 ans plus tard, Yvan Attal découvre cette affaire criminelle dans le livre «Est-ce ainsi que les femmes meurent?» du romancier Didier Recoin. Il propose le livre à Lucas Belvaux afin qu'il en tire un scénario pour le porter à l'écran.
Ignorant les détails de cette histoire lors de la vision du film, j'ai donc davantage posé un regard sur la réalisation globale que sur le respect des faits évoqués ci-dessus. J'ai ressenti assez vite un décalage quelque peu disproportionné entre l'événement tragique que constitue cet assassinat et l'impact un peu démesuré que cela a sur la vie de tous ces voisins et autres personnages liés à l'affaire.
La réalisation est néanmoins puissante et les acteurs sont justes même si les répliques sont trop écrites et qu'Yvan Attal a parfois du mal à les rendre naturelles. D'autres acteurs donnent plus de poids à l'histoire, comme Nicole Garcia, Sophie Quinton et Didier Sandre (trop rare au cinéma et à qui on doit la meilleure réplique du film: "Une personne qui ne dénonce pas un meurtre, c'est un salopard; trente-huit personnes, c'est Monsieur Tout-le-monde. Que prouvera-t-on? Que 25 % d'entre eux étaient abrutis par des neuroleptiques et les autres des lâches?").
Bien sûr, faire le procès sur l'indifférence et la lâcheté humaine était inévitable. Mais de là à nous ponctuer ce récit de multiples plans appuyés (gros plans et champs-contrechamps continuels) sur les mines défaites et les drames intérieurs de la vie de chacun comme si ce tragique fait divers pouvait avoir une importance si déterminante que tous les protagonistes devenaient des "morts-vivants" (comme le dit si bien le 38ème témoin, joué par Yvan Attal, qui attend son châtiment, végétant dans un monde où seul lui sait qu'il est déjà mort!). Ce drame ne deviendrait-il pas un prétexte à de nombreuses réflexions intérieures, dites à haute voix, sans rapport direct avec le déroulement de l'histoire? On se croirait plus dans un livre qu'on pourrait parcourir avec plaisir plutôt que dans un film où les mots ne peuvent à eux seuls faire tout! De là toute la complexité d'adapter un livre au cinéma.
On comprend précisément que pour réussir un film, il est essentiel de faire circuler un bon fluide naturel entre l'image, le son, les acteurs et les dialogues... Ici, on se demande quelquefois pourquoi on se hasarde entre autres sur des plans de docks, de bateaux et du Havre qui n'ont vraiment rien à voir avec le récit. Certes, ce sont de bons plans qui nous plongent dans une certaine ambiance, mais qui n'apportent pas grand-chose à l'histoire.
Bien sûr, on sent le clin d'oeil à Simenon, même si l'histoire est tirée d'un fait divers qui s'est déroulé à New York, mais au bout du compte, si ce n'est la force du sujet, la réalisation proprement dite m'a laissée perplexe et un peu sur ma faim. Pour moi, la sauce n'a pas pris. J'avais d'ailleurs ressenti exactement la même chose avec son film "La Raison du Plus Faible" qui selon moi ressemblait plus à un court-métrage belge qu'on aurait étiré à souhait plutôt qu'à un véritable long métrage.