Une nuit,au Havre,une jeune femme est poignardée à mort devant son immeuble.Les habitants du quartier n'ont rien vu ni entendu.C'est du moins ce qu'ils prétendent.Ce film franco-belge est écrit et réalisé par Lucas Belvaux,qui est belge,d'après un roman de Didier Decoin.Yvan Attal,qui retrouve le cinéaste trois ans après "Rapt",produit et joue le personnage principal."38 témoins" est très réussi plastiquement.Belle image,beau travail sur la lumière,notamment lors des nombreuses scènes nocturnes,et Belvaux fait preuve d'un joli sens du cadre.On a droit en sus à un sympathique côté documentaire sur le port du Havre,qui est une gigantesque entreprise.Pour le reste,c'est nettement moins convaincant.Le film est clairement trop long pour ce qu'il a à raconter,et les séquences sont étirées plus que de raison.Sur le fond,Belvaux instruit le procès de la lâcheté et de l'indifférence,sans se rendre compte apparemment que les comportements qu'il condamne sont parfaitement logiques dans une société livrée à la fois à un ultra-libéralisme destructeur du lien social et à un gauchisme permissif,dont le réalisateur est un propagandiste zélé,qui s'attache à gommer toute notion d'ordre.C'est ce qu'on appelle déplorer les effets de situations dont on chérit les causes.Dans le monde actuel,le mot d'ordre est "démerde-toi tout seul",et la population l'a bien intégré.Par conséquent,à défaut de les approuver,on peut les comprendre,ces gens.Qui va sortir dans la rue en pleine nuit pour se mêler d'une rixe?Qui a envie de se manger quelques coups de couteau pour secourir une personne inconnue,qui de surcroît ne vous en sera pas nécessairement reconnaissante?Et si vous y allez quand même,que faire au juste?Pas grand-chose,à moins d'être un maître en arts martiaux ou en possession d'une arme à feu mais ça,ça vous est interdit.Et si c'est le cas et que vous l'utilisez contre l'agresseur,le blessant ou le tuant,c'est vous qui finirez au tribunal puis en cabane.Sans parler des représailles que ne manqueront pas d'exercer sur vous et vos proches la famille et les copains du malandrin.Tout est organisé en réalité pour que personne ne se mêle de rien.Et si vous ne faites rien,on viendra vous le reprocher aussi car c'est de la non-assistance à personne en danger.C'est magique,dans tous les cas de figure,vous êtes fautifs.Reste la solution d'appeler les flics,le truc sûr et sans danger.En apparence.Parce que d'abord,la plupart du temps,ça ne sert à rien.Le temps que la maréchaussée se pointe,en général tout est fini.D'autre part,les appels sont tracés et la personne identifiée peut,au pire,se retrouver en haut de la liste des suspects,au mieux être accusée de n'être pas intervenue.Ceci dit,l'argument du scénario est un peu gros.38 témoins,et pas un pour alerter la police,à une époque où les gens ont le portable à la main en permanence et où la moindre descente de flics est filmée et balancée illico sur les réseaux sociaux,difficile à gober.D'ailleurs,lorsque les enquêteurs arrivent,on est encore en pleine nuit,quelqu'un a bien dû les appeler.Mais Belvaux n'admet pas cette mentalité fataliste.Lui se serait évidemment interposé en pareil cas,avec l'indéfectible courage consubstantiel aux habitués des tapis rouges des festivals et des soirées parisiennes de la gauche caviar.Il nous désigne donc trois "justes",qui n'ont hélas que la particularité d'être encore plus abjects que les autres personnages.Voici donc une journaliste charognarde,dont ces faits divers sordides sont le gagne-pain,ce qui en fait quelqu'un d'idéalement placé pour donner des leçons.On a ensuite un capitaine de police incapable de débusquer le coupable,l'affaire ne sera pas résolue,ce qui devrait pourtant constituer sa priorité,et qui à défaut ne trouve rien de mieux que d'aller balancer les témoins récalcitrants à la journaliste.Et puis surtout il y a Pierre,le seul à reconnaître avoir vu et entendu quelque chose.Ce qui va lui permettre d'incriminer tous ses voisins par la même occasion,y compris ceux qui n'ont réellement rien perçu des évènements.Tout ça pour tenter de diluer son propre sentiment de culpabilité.Car c'est là le vrai sujet du film,la culpabilité et comment on la gère.En réalité,seul l'assassin est coupable et les autres ne pouvaient rien faire.La fille est morte rapidement,elle n'aurait pas pu être sauvée,et personne n'a suffisamment vu le tueur pour pouvoir l'identifier.Mais Pierre,et les autres aussi finalement,ne peut se pardonner à lui-même de n'avoir pas au moins essayé de faire quelque chose.Comme il a du mal à vivre avec ce poids,il essaie de l'alléger en se couvrant de cendres publiquement,ce qui ne changera rien.S'il avait dû agir,il fallait le faire immédiatement car là,il est de toute façon trop tard.Cette tempête psychologique est transcrite de manière excessive et théâtralisée par le réalisateur,ce qui rend pénible la vision de ce film au rythme lent.A la tête d'une distribution inégale,Attal donne une interprétation intense de son personnage torturé.Sophie Quinton est bien jolie et fait illusion dans les téléfilms,mais elle est trop lisse et transparente pour exister sur grand écran.Nicole Garcia et Natacha Régnier par contre ont du métier et tiennent talentueusement leurs rôles.