Trois panneaux publicitaires en ruine au bord d’une route de campagne que plus personne n’emprunte depuis la création d’une autoroute qui mène à la petite ville d’Ebbing dans le Missouri et donnent son titre originale au film. C’est sur ces panneaux que Mildred Hayes (Frances McDormand) va afficher un message interpellant le chef de la police pour n’avoir toujours pas résolu le viol et le meurtre de sa fille il y a plusieurs mois….


La mère courage face à la petite communauté rurale, son chef de la police locale et sa famille idéale, le flic redneck raciste et violent, on a vu ces archétypes tant de fois que l’on pense pouvoir déduire la trajectoire de chacun d’entre eux et anticiper les événements jusqu’à leur conclusion. C’est justement cette familiarité qu’utilise, en quelque sorte contre le spectateur, le dramaturge/réalisateur Martin McDonagh (In Bruges, Seven Psychopaths) pour rendre son film totalement imprévisible et cela quasiment à chaque scène .
On a rarement vu à l’écran une telle imbrication parfois au cœur d’ une même séquence entre le drame le plus lourd – et dieu sait que McDonagh joue ici avec un matériau extrêmement pesant – on est sur une échelle du drame du niveau d’un Manchester by the Sea – avec lequel 3 Billboards partage le jeune acteur Lucas Hedges ici encore dans un rôle d’adolescent face au deuil – et la comédie la plus loufoque et absurde.


Mildred, merveilleusement interprétée par l’impériale Frances McDormand, est une femme rude laissée sur le bord de la route par les changements de la société et par son mari, Charlie (John Hawkes), parti refaire sa vie avec une jeune fille de 19 ans Penelope (Samara Weaving), que la mort de sa fille et les remords qui la tiraillent – elles se sont quittées sur une violente dispute – pousse à une mener une véritable guerre contre toutes les figures de l’autorité, police , notables y compris le prêtre du voisinage. Bien qu’elle soit une femme blanche d’âge mur , elle ressemble par certains coté avec son hoodie et son bandana (un hommage à Christopher Walken dans Voyage au bout de l’enfer d’après McDonagh) et ses insultes à la police qu’elle juge «trop occupée à torturer les noirs» pour avoir le temps de traiter son cas, aux activistes du mouvement Black Lives Matter. McDormand incarne une femme qui a décidé de se substituer à la colère divine faute de ne pouvoir se pardonner elle-même . Pourtant, Martin McDonagh ne succombe jamais au manichéisme, il ne se contente pas de dépeindre Mildred comme un sainte mal embouchée face à des ploucs sans cœur. Dans cette époque où l’on voudrait une impossible pureté des comportements il nous montre des personnages imparfaits, complexes, contradictoires humains quoi! On a rarement vu au cinéma de personnages si nuancés que ceux de la comédie humaine de McDonagh chez qui cohabitent le pire et le meilleur : Willoughby (Woody Harrelson vulnérable comme rarement dans sa filmographie) fait lui-aussi face à de nombreux problèmes (et c’est une litote) sa première confrontation avec Mildred est un des moments les plus puissants d’un film qui en compte beaucoup. C’est la première fois où le réalisateur retire le tapis de sous les pieds du spectateur et où l’on comprend que le film ne se conformera pas à nos attentes pour suivre sa propre route. Son second Dixon interprété par un sociétaire de l’auteur , le sous-estimé Sam Rockwell qui livre ici sa meilleure performance, débute le film comme le parfait antagoniste : redneck alcoolique, raciste et violent , vivant avec sa mère en apparence acariâtre va révéler peu à peu les contradictions de sa personnalité pour révéler une forme d’héroïsme insoupçonnée. Le comédien fait ici preuve d’un sens du timing comique mais aussi émotionnel assez incroyable. Comme les grands auteurs du XIXe McDonagh travaille la matière humaine dans son ensemble mais si il expose l’horreur de la condition humaine son regard est toujours bienveillant. Tout ce que je lis sur le cinéma des frères Coen sans jamais le percevoir, à cause de la distance que je ressens chez eux vis à vis de leurs personnages, je l’ai trouvé dans 3 Billboards. Pourtant le lien est évident entre 3 Billboards et l’oeuvre des Coen à travers évidemment McDormand héroïne de Fargo (et l’épouse d’Ethan Coen) et leur compositeur Carter Burwell.


Au delà des solistes brillants, l’interprétation est à un tel niveau de naturalisme et d’excellence que même un chien qui passe en arrière plan pourrait être nommé à l’Oscar. De John Hawkes à la fois homme violent mais père aimant, Peter Dinklage (Game of thrones) drôle et étrangement émouvant à l’image du film, cette gueule de Zeljko Ivanek, Clarke Peters (véritable réincarnation de son vivant de Morgan Freeman) impérial , Caleb Landry Jones pour une fois loin de ses rôles de creeps ou l’incroyable Sandy Martin en mère du personnage de Sam Rockwell tous renforcent le film. Quand un film est si brillant on guette sa conclusion avec l’appréhension du spectateur de cirque qui a peur de voir un équilibriste tomber de son fil mais il était écrit que touché par la grâce Martin McDonagh ne pouvait échouer et sa fin toute en ambiguïté est parfaite.


Conclusion : Avec 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance on tient un très grand film, rarement on aura vu une comédie dramatique aller aussi loin dans ce mélange détonant entre le drame le plus lourd et la comédie sans jamais perdre l’équilibre. Martin McDonagh sert à ses comédiens Stradivarius Frances McDormand en tête, des dialogues d’anthologie et des personnages exceptionnellement nuancés.

PatriceSteibel
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le 8 déc. 2017

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