« Trois panneaux d’affichage à l’extérieur d’Ebbing », telle serait la traduction littérale du titre original. Trois personnages principaux : Mildred Hayes (Frances McDormond), crucifiée par la douleur de sa fille perdue, assassinée sauvagement, « raped while dying (violée alors qu’elle agonisait) », clame le premier des panneaux semeurs de trouble ; cette haute figure, féminine (encore que...), incarnant une douleur brute, se voit flanquée de deux larrons de flics, avec lesquels, nécessairement puisque l’enquête n’avance pas - « and still no arrests (et toujours pas d’arrestation) », dénonce le deuxième panneau -, les rapports sont tout sauf apaisés. Ce triple appui, dominé par la « mater dolorosa », confère au scénario toute sa mobilité, tout son mouvement, toute sa charge de reconversions potentielles ; toute sa subtilité, aussi, et sa capacité à s’extraire des schémas attendus.
Après un premier temps, exposant la douleur et, conjointement, la colère maternelles, le scénario approfondit le conflit avec le chef de la police, nommément mis en cause par le dernier panneau, en tant que responsable de la conduite de l’enquête : « How come, Chief Willoughby ?(Comment cela se fait-il, Chef Willoughby ?) ». Conflit qui gagne en finesse et en complexité, grâce à l’interprétation très nuancée de l’excellent Woody Harrelson, dont le personnage est suffisamment développé et placé au cœur d’un drame propre, qui contribuera nettement - plus que la figure de la mère aux gros poings - à faire surgir une émotion profonde et un questionnement existentiel.
Parallèlement, se trouve amorcée la silhouette, d’abord très sommaire, jubilatoirement caricaturale, puis plus fouillée, jusqu’à la métamorphose, du second policier (Sam Rockwell, tout aussi excellent), dont le rôle passera presque au premier plan dans le dernier temps du film, jusqu’à s’ouvrir à une forme de rédemption.
Un cheminement très souple, donc, débouchant constamment sur de l’inattendu, et porté par des acteurs en état de grâce, qui permettent au film de dériver d’un modèle de vengeance classique (et à rebondissements !) vers des développements nettement plus psychologiques et nuancés, sans toutefois négliger la dimension policière de l’intrigue. On regrette cependant que l’un des moyens utilisés pour le renouvellement du genre passe par le rôle caricaturalement masculin de Frances McDormond. Ne peut-on renouveler le féminin qu’en singeant le pire du masculin...? Au chapitre des regrets, certains passages de dialogue se détournent de leur esprit et de leur vivacité habituels pour se vautrer dans un humour assez lourd ; exemples, certaines saillies visant le personnage, pourtant très attachant, du nain (là encore, excellent Peter Dinklage)...
Il n’empêche. Le troisième long-métrage de Martin McDonagh, rythmé par la BO nonchalante et très addictive de Carter Burwell, offre à ses spectateurs une savoureuse galerie de portraits et une plongée assez inoubliable dans l’Amérique profonde.