Réalisateur et dramaturge britannique repéré pour ses films situés à mi-chemin entre le thriller et la comédie noire ("In Bruges", "7 psychopaths"), Martin McDonagh fait un véritable retour en force en ce début d'année avec son nouveau bébé, soit une fois encore un film policier teinté d'humour noir avec en toile de fond un regard doux-amer et peu glorieux de l'Amérique profonde et ses moeurs.
Critiques dithyrambiques, comédiens récompensés (Golden Globes de la meilleure actrice pour Frances McDormand et du meilleur second rôle pour Sam Rockwell), annoncé comme l'un des gros favoris de la prochaine cérémonie des Oscars, c'est dire si "3 Bilboards" fait énormément parler de lui en ce moment.


Et force est de reconnaître que c'est entièrement mérité tant ce film déborde de qualités, que ce soit en terme de mise en scène, d'écriture scénaristique et de jeux d'acteurs.
L'intrigue, de prime abord relativement classique (une jeune fille retrouvée assassinée et violée dont le meurtrier, après des mois de recherche, n'a toujours pas été retrouvé), va très vite prendre une tournure originale une fois que la mère de la jeune fille, une certaine Mildred Hayes (Frances McDormand) décide, via 3 grands panneaux publicitaires, de dénoncer le comportement qu'elle juge "inadmissible" et "pas sérieux" de la police. Tout d'abord amusé par ce qui semble être la plaisanterie d'une plouc à la dérive, le shérif Willoughby (Woody Harrelson), homme respectable et respecté, flanqué de son adjoint, le raciste et brutal Dixon (Sam Rockwell), vont très vite comprendre que la femme ne plaisante plus et est bien décidé à tenter le tout pour le tout afin que justice soit faite.


Assez rapidement, le film s'écarte de ce schéma narratif vu et revu des centaines de fois (la chasse au coupable par le biais d'un personnage lambda qui ne croit plus en la justice de son pays) pour s'aventurer vers autre chose.
Ce n'est pas l'intrigue policière au sens propre du terme qui intéresse ici le réalisateur mais plutôt ses personnages (Mildred, le shérif, son adjoint ainsi que leurs entourages respectifs) et la vie qu'ils mènent. De cette manière, il parvient à faire ressortir à la fois leurs bons mais aussi leurs mauvais côtés. Ainsi, si Mildred peut être vue comme une véritable mère-courage, elle apparaît aussi comme quelqu'un de particulièrement égocentrique, froid et distant et à l'avis très tranchant. De même, l'adjoint du shérif, Dixon, en dépit de son comportement agressif et de ses provocations, peut aussi se voir comme un homme jeune mais pourtant déjà fatigué par la vie, encore célibataire et contraint à son âge de vivre aux côté de sa mère mourante.
Et c'est aussi grâce à cela que nous arrivons, en tant que spectateur, à conserver un minimum d'empathie pour ces personnages, parce qu'ils sont avant humains. Leurs failles, leurs réactions (même brutales) sont le résultat d'une lassitude et d'une rage trop longtemps contenue que l'on choisit d'appliquer par l'usage de mots provocateurs placardées sur des panneaux publicitaires (Mildred) ou par la violence physique et la provocation verbale (Dixon).
Le tour de force du réalisateur réside dans le fait que, par le biais de ces protagonistes, il nous entraîne à chaque fois là où on ne l'attend pas tant leurs caractères évoluent progressivement au fil de l'intrigue pour déboucher sur une fin aussi simple qu'inattendue (dans le bon sens du terme) et qui en fin de compte traduit bien l'état d'esprit des personnages : "We reflect on the way" ("On réfléchira en chemin"), comme le dira si bien Mildred à Dixon.
En clair, ce sont les personnages et non pas l'enquête policière qui font avancer le film. Toujours en mouvements, comme obnubilés par le désir de sortir à tout prix de l'enferment de leur existence, les personnages de "3 Bilboards" dirigent littéralement le film à eux seul pour à chaque fois l'orienter dans une direction narrative inattendue.


Tout comme dans les autres films de McDonagh, l'humour noir est très présent mais cette fois-ci en plus mélancolique, voir même plus tragique. Histoire sordide oblige, l'atmosphère est forcément plus dramatique mais aussi... drôle, voir même par moments franchement très drôle, à tel point que le second degré de certaines séquences ne manquera pas d'en laisser certains sur la touche. Le franc parler de Mildred, son côté "grande gueule" et ses provocations verbales à l'égard de la police mais aussi du prêtre local confèrent au film une pointe de douce provocation qui non seulement amuse beaucoup le spectateur mais, en plus, lui fait comprendre que, en dépit de l'atrocité du meurtre de départ (une jeune fille étranglée et violée), rien n'est jamais très sérieux dans ce film. Ceci dit, qu'on ne s'y trompe, si "3 Bilboards" peut se voir comme une comédie noire et désenchantée, il n'est aucunement une parodie de polar, loin de là d'ailleurs.


Comme dit plus haut, le film est aussi par moments très mélancolique, notamment dans l'évolution de ses personnages mais aussi dans le portrait doux amer et désenchanté que le réalisateur dresse de l'Amérique profonde.
Policiers profitant de leurs pouvoirs sur les civils pour y déchaîner toute leur colère et frustration trop longtemps contenue, hommes louches clamant hauts et forts dans les bars leurs envies de viols et de meurtres, individus à la limite de la précarité sociale ou qui ne sont reconnus par les autres que par leur handicap (le nanisme) ou couleurs de peaux, c'est l'image contemporaine d'un société américaine socialement retranché dans ses habitudes les plus primitives (ère Trump ?) à laquelle nous assistons.
A travers le portrait d'un pays qui, comme le disaient si bien les frères Coen et Cormac McCarthy, "n'est désormais plus pour le vieil homme", des personnages paumés, à la limite de la marginalité, veulent malgré tout atteindre un objectif qui pourrait bien changer, plus encore que leur destin, leur raison d'être : la justice pour Mildred, la rédemption pour Dixon et la paix intérieure pour le shérif Willoughby.


Si "3 Bilboards" procure aussi tellement de bien, c'est grâce à l'excellence de ses comédiens. Frances McDormand, actrice de talent beaucoup trop rare sur grand écran, connue et oscarisé pour son rôle de femme flic opiniâtre et sympathique dans "Fargo" (le film, pas la série), crève l'écran dans le rôle de Mildred Hayes. Disposant d'un visage fort expressif (froncement de sourcils, bouche plissante) et d'une diction aussi rapide qu'incisive, McDormand joue les caractéristiques de Mildred (la colère, la tristesse, le franc parler) avec grande aisance et une belle inventivité .
De même, dans un rôle plus secondaire (celui du shérif Willoughby), l'inénarrable Woody Harrelson est lui aussi très bon; mention spéciale à Sam Rockwell qui, dans le rôle de l'officier brutal et raciste Dixon est épatant, et arrive à se montrer tour à tour détestable dans les moments d'agressivité de son personnage mais aussi touchants, voir même émouvants, une fois que l'on en sait un peu plus intimement sur lui.


En somme, de par son interprétation de très grande qualité, son portrait à froid d'un pays désenchanté, son scénario inattendu qui nous emmène à chaque fois là où l'on ne s'attend pas et à sa réalisation prenante et haletante, alternant les séquences d'humour noir avec des moments plus dramatiques, "3 Bilboards" s'impose très clairement comme l'un des premiers grands films de ce début d'année et apporte une belle bouffée d'air frais dans un un cinéma américain que l'on cantonne un peu trop souvent ces dernières années aux films de super-héros et autres sagas intergalactiques dont le titre n'a pas besoin d'être évoqué.


En un mot comme en cent, du grand cinéma : inventif, intelligent et réflexif.

f_bruwier_hotmail_be
8

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le 23 janv. 2018

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