Internet me faisant défaut - et me privant ainsi de mes séries favorites - je me suis plongée dans les quelques films que j'avais. "3 Extrêmes" m'attendait sagement. Un alliage de trois courts métrages ? Parfait. Je pouvais ainsi marquer des pauses entre chaque visionnage. Un ensemble de courts-métrages se lit comme un recueil de nouvelles : on les regarde un par un. On s’imprègne, on pense, on boit un truc, et on y retourne.

"Nouvelle Cuisine" de Fruit Chan donne le ton, immédiatement. Il sera question d'une femme qui cuisine des raviolis aux propriétés étonnantes : ils sont un élixir de jeunesse. Une sorte de ravioli de jouvence. La préparation de ces raviolis requiert tout un rituel, et les composantes sont ... Mh, non, je ne vais rien vous spoiler. Sachez juste que ce premier court-métrage prend littéralement aux tripes. Une ancienne actrice rend visite à cette femme, soucieuse de plaire à nouveau à son époux (qui, fatalement, la trompe avec une femme plus jeune).
Ce court-métrage repousse les codes de la morale et de la bienséance, et donne (ENFIN) le change. Vous le trouverez glauque et malsain, oui, mais attardez-vous un peu sur les questionnements que soulève "Nouvelle Cuisine". Une magie noire, neuve, qui tourne autour de la mort et de la vie, où l'on transforme en nourriture quelque chose qui ne se consomme pas, habituellement (ou alors revoyez vos habitudes culinaires). Manger la presque vie pour retrouver la jeunesse. L'avaler, la croquer. Donner la vie, la retirer, l'ingérer : un cycle qui fait frémir.

Sentir le ravioli crisser sous les dents de l'héroïne est foutrement dérangeant.

"Coupez !" de Park Chan-Wook joue sur le double-sens de ce titre, et inverse les rôles : celui qui devait se tenir derrière la caméra se retrouve acteur d'un scène cruelle, où il doit faire un choix crucial.

De Park Chan-Wook, je ne connaissais que "Stoker", que je considère comme une oeuvre d'art. L'esthétique de "Coupez !" est plus franche et assumée que dans "Stoker" (qui est, finalement, assez propre et retenu quand on le compare à ce court-métrage). J'aime l'idée qu'en regardant un film, on se sente face à quelque chose de beau. L'esthétique est soignée, les plans travaillés, réfléchis. "Coupez !" apparaît comme une suite de petits tableaux qui ne peuvent que ravir les yeux. Il y a une mise en abyme très bien pensée, dans ce court-métrage. On joue sur les codes du cinéma. Le décor du film est un copier-coller de la maison du protagoniste, ce qui coupe le rapport au réel de façon assez impressionnante. Il se passe quelque chose de vrai, qui n'est pas fictif, et ce au coeur d'un décor qui a été créée en miroir à une demeure existante ... Et pourtant, c'est un film. Les allers-retours entre cinéma et réalité se font ainsi, laissant apercevoir des jeux de lumières et un huis-clos dignes du théâtre. Ça, putain, c'est génial, y'a pas d'autres mots.

Un réalisateur va devoir, pour sauver les doigts de sa femme, pianiste, tuer une gamine. Pourquoi ? Parce qu'il a été trop gentil, et qu'un figurant veut s'amuser un peu avec lui. Un figurant qui veut se venger du hasard et de l'inégalité. Et on entre dans le jeu de la cruauté, des mots qui giflent et des règlements de comptes.

« La boîte » de Takashi Miike (à qui l'on doit le très bon « Audition », entre autres) est dans la continuité d'une tradition japonaise que tout le monde a fini par assimiler : ce goût pour les esprits et leurs secrets, et les remords qui les suivent à la trace.

Outre une esthétique très bien maitrisée, on retrouve ce côté malsain franchement assumé. Ce n'est pas dans le cinéma dit « occidental » que l'on oserait utiliser le même acteur pour jouer et un père qui aime un peu trop sa fille, et un éditeur qui s'intéresse un peu trop à sa romancière (romancière dont le père … enfin, vous m'aurez compris). Un même visage, comme une ombre planante. Coup de maître. C'est osé, et efficace. Tout ce qu'il y a de sensuel, dans « La boîte » est profondément glauque. C'est ce genre de subtilités cruelles que j'aime retrouver dans le cinéma japonais.

Le petit cirque et ses couleurs hurlantes, retenons-le : c'est ce qu'il y a de plus beau, dans ce court-métrage. J'aime ce que le cinéma fait du cirque, des acrobaties, des corps qui se plient. Takashi Miike peint ici son cirque, unique, dérangeant.

Et il y a donc cette boîte, cette boîte mystérieuse. En lisant le titre, on tente de s'imaginer ce qu'elle contient, puis on réalise qu'on aurait préféré qu'elle ne s'ouvre jamais.

Ce dernier court-métrage est une danse, une pièce, un spectacle, bien plus vif qu'un film banal.
Neena
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le 28 juil. 2014

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Neena

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