Après avoir été témoin d’un de ses braquages, l’éleveur Dan Evans (Christian Bale, qui n’a jamais aussi bien joué les hommes brisés) se porte volontaire pour escorter le bandit Ben Wade (Russell Crowe, magnétique) à la gare de Contention City, où il prendra le train de 3h10 à destination du pénitencier de Yuma. C’est pour lui l’occasion de retrouver un peu du prestige qu’il a perdu auprès de sa femme (Gretchen Mol) et de ses fils (Logan Lerman et Ben Petry). Mais cette escorte n’est pas sans danger, sachant que les acolytes de Wade courent toujours sous la direction de son second Charlie Prince (Ben Foster), et que ce dernier est prêt à tout pour retrouver son chef…


Peut-on juger de la qualité d’un remake sans le juger par rapport à son aîné ? La réponse paraît évidemment oui. Le principe d’un bon remake étant justement de se distinguer de son modèle, il doit pouvoir exister en tant que film à part entière, et non comme une copie plus ou moins habile d’un film précédent. Si je n'ai pas jugé bon de voir le film de 1957 avant de regarder cette nouvelle version de James Mangold, c’est précisément pour ne pas risquer de me laisser enfermer dans une vision rendue étroite par un film dont je ne remets certainement pas en cause la légitimité de la réputation. Ainsi donc, ce n’est pas un remake que les lignes suivantes vont juger, mais un pur western à part entière. Le film de James Mangold s’apparente même à une résurrection, tant le genre s’était fait discret au moment d’entrer de plain-pied dans le XXIe siècle.


Le coup de génie de Mangold, décidément un des réalisateurs les plus talentueux de ce début de siècle, réside avant tout dans son casting : réunir Christian Bale et Russell Crowe tient de l’évidence quand on regarde le film, mais il fallait y penser et le faire. Cette alliance d’acteurs est sans conteste un des plus beaux duos d’acteurs qui ait jamais été réuni sur un écran.
L’intensité du jeu de Russell Crowe n’est certes plus à démontrer depuis longtemps mais il prouve une nouvelle fois combien il est l'un des plus grands acteurs de sa génération dans ce rôle où il donne à contempler toute la mesure de son talent. Impossible d’oublier le regard profond de cet acteur qui pare sa force brute d’une élégance étonnante et d'une retenue salvatrice. Impossible, également, d’ôter de sa mémoire le souvenir du non moins immense Christian Bale, qui, par quelques jeux de regards et une gestuelle millimétrée, suggère admirablement le traumatisme d’un homme blessé au plus profond de son être par les séquelles de la guerre autant que par le regard des autres. Les deux acteurs sont formidables dans ces deux rôles d’hommes marqués par des traumatismes anciens, et qui perçoivent en l’autre une voie qui pourrait les mener l’un et l’autre vers la rédemption.
Les deux acteurs sont même tellement formidables que tous les seconds rôles (néanmoins excellents : Ben Foster, Alan Tudyk, Peter Fonda...) qui gravitent autour d’eux s’effacent constamment pour laisser aux deux géants le soin d’occuper toute la place que l’écran leur octroie. Et c’est précisément là que le western de James Mangold se révèle un précieux chef-d’œuvre. En reprenant tous les codes du western, le réalisateur n’oublie pas que ce genre n’a de réel intérêt que lorsqu’il ouvre la voie à une réflexion sur l’homme et l’âme humaine. D’âme humaine, il est bien question ici, tant le scénario, d’une minutie assez prodigieuse, nous donne à contempler tous les recoins de l’âme de chacun des deux protagonistes du film.


Pour autant, si le 3h10 pour Yuma de Mangold est bel et bien un chef-d’œuvre de la race des John Ford et des Sergio Leone, c’est parce que Mangold, suivant la voie du western classique (Ford, Walsh, Daves ou Hathaway plutôt que Leone), n’oublie pas le grand spectacle. Et de fait, la caméra de Phedon Papamichael nous offre des plans d’une beauté guère inédite, mais toujours sidérante, aidé par les décors de Jay Hart, d’un classicisme plus que louable. Les grandes étendues de l’Ouest sont parfaitement captées par l’œil affûté de la caméra, et sa manière de placer les personnages dans les recoins de l’écran, poussières ballotées par un destin capricieux dans un monde qui les dépasse et qu’ils ne peuvent maîtriser, est réellement prodigieuse, donnant tout son sens au film.
Aussi à l’aise dans le registre épique qu’intimiste, James Mangold trouve le parfait équilibre entre l’action et les dialogues, ne sacrifiant jamais la psychologie de ses personnages sur l’autel du spectaculaire, mais n’omettant pas non plus l’aspect grandiose du film. Ainsi, on pourra vibrer au rythme des cavalcades endiablées ou des fusillades haletantes, autant qu’au récit du passé de personnages ouvrant leur cœur à l’orée de ce qui les attend et qui pourrait bien être la mort.


Jouant de ce double terrain, épopée extérieure autant qu’intérieure, James Mangold nous tient même en haleine dans une séquence finale époustouflante, témoignant d’un sens du suspense dont Hitchcock lui-même aurait des raisons d’être jaloux. Ayant parfaitement creusé la psychologie de ses personnages, le réalisateur peut alors nous offrir une longue scène d’action, haletante et palpitante à souhait, où les personnages consacrent leur magnifique évolution dans des actes pleins de sens, et jamais appuyées par de grands effets de manche. Remplie d’émotion à ras bord sans jamais renoncer au ton âpre qui fait sa réussite, ultime rempart contre le tire-larmes, ce dernier acte offre une conclusion magistrale à la tragédie qui s’est joué sous nos yeux.
Difficile de rester insensible face à ce grand final, sombre mais plein d’espoir, où se joue le sort d’une humanité en désarroi, dont sortiront vainqueurs l’honneur et la loyauté. Par cette séquence finale, sans doute une des plus belles que le septième art nous ait jamais offertes, ce qui avait commencé comme un simple western achève de se muer en une magnifique odyssée humaniste, qui nous restera longtemps en mémoire.

Tonto
9

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le 27 oct. 2020

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Tonto

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