Les frères Dardenne ont donc essaimé leur cinéma au delà des frontières de la Belgique, et leur rejeton le plus convaincant - pour l'instant - est apparu en Roumanie : car qui donc peut ignorer, en suivant la farouche et (re)belle Otilia au long de sa trajectoire météoritique de cette journée vraiment infernale, sa parenté avec une Rosetta, par exemple ? Ce sont les plus beaux moments de "4 mois, 3 semaines, 2 jours", portés par une actrice en état de grâce (Anamaria Marinca dégage cette vérité cinématographique qui fut l'apanage d'une Sandrine Bonnaire chez Pialat), ces instants fulgurants ou faussement calmes (la scène dévastatrice du repas d'anniversaire en est un bel exemple) qui touchent au "grand" cinéma, mais aussi à l'essence même de l'humanité : cette capacité renversante à survivre au fond de l'horreur, qui apporte finalement au film sa lueur d'espoir, une indéniable énergie vitale rattrapant la noirceur de la description de la Roumanie de Caucescu. Car il n'est pas sûr que, hormis pour un travail de deuil qui ne nous regarde pas, nous Occidentaux, Mungiu ait eu raison de situer son film il y a 20 ans : cela lui confert un aspect "visite au zoo", et provoque chez nous une curiosité malsaine par rapport aux pratiques dégénérées de la société communiste, dont il n'a pas besoin... Car la lâcheté des hommes ne se limite certainement pas à la Roumanie des années 80.
[Critique écrite en 2007]