Après Se7en le scénariste Andrew Kevin Walker devient l’un des plus en vue d’un Hollywood à la recherche du « nouveau Se7en« , Columbia Pictures semble le tenir en achetant pour 1 million 250 000 dollars son nouveau script original 8MM qui se déroule dans l’univers des snuff-movies, une légende urbaine autour de films clandestins où des acteurs sont réellement torturés et assassinés devant la caméra pour le plaisir de riches voyeurs sadiques. Le studio propose le film à David Fincher qui le décline et le projet peine à trouver un réalisateur. Contre toute attente c’est finalement Joel Schumacher qui accepte. Mort en juin 2020, Schumacher est une figure originale du cinéma américain qui commença sa carrière comme directeur artistique et chef costumier (il officie sur Interiors de Woody Allen) avant de passer à la réalisation dans les années 80 sur des films à petits budgets comme La Femme qui rétrécit où il remplace John Landis ou DC Cab une comédie avec MrT. C’est le succès de deux films centrés autour de jeunes acteurs, le film d’apprentissage St. Elmo’s Fire et le film fantastique Lost Boys, qui feront découvrir Rob Lowe, Demi Moore, Emilio Estevez ou Kiefer Sutherland qui en font un réalisateur en vogue. Il enchaine avec Flatliners (L’expérience interdite) un autre film fantastique adolescent puis Le Choix d’aimer (Dying Young) un mélo pour Julia Roberts avant d’entamer un premier virage dans sa carrière avec deux projets dramatiques, l’excellent Chute Libre pour Michael Douglas et l’adaptation du roman de John Grisham Le Client dont le succès lui vaut d’être chois par la Warner pour succéder à Tim Burton sur la franchise Batman. Le tournant stylistique qu’il fait prendre à la franchise est d’abord un succès avec Batman Forever avant le crash de Batman & Robin au box-office qui va marquer au fer rouge sa réputation. Le choix du projet 8MM est donc fait sans doute en réaction à ses deux Batman afin de prouver qu’il peut également traiter des sujets sombres et produire des visuels à l’opposé du kaléidoscope de couleurs de ses virées à Gotham. Étonnamment Walker voit d’un bon œil l’arrivée de Schumacher en qui il pense voir un allié face au studio qui veut édulcorer le film alors qu’il insiste pour en conserver les aspects les plus sombres, en particulier une sous-intrigue impliquant également de la pédopornographie. Sur Se7en, David Fincher avait collaboré étroitement avec le scénariste luttant avec le studio pour conserver sa conclusion nihiliste et ce dernier pensait sans doute nouer la même relation avec l’extravagant réalisateur. Et initialement Schumacher -qui souhaite en faire un thriller sale à petit budget filmé camera à l’épaule et obtient l’accord de Russell Crowe (pas encore méga star) pour incarner le personnage principal- semble un allié sur pour le scénariste. Mais quand Nicolas Cage monumentale star à l’époque auréolé de son Oscar et du box-office de Con-Air ou Face/off se montre intéressé le projet prend une autre envergure avec un budget plus conséquent et une attention plus particulière du studio qui pousse le réalisateur à apporter ses propres modifications au scénario aboutissant à un conflit ouvert avec Walker qui entraine son départ du projet (il ne verra jamais le film et espère toujours en faire un remake). Avec le recul la décision de Schumacher est loin d’être indéfendable, le sujet de la pédopornographie est sans doute trop sensible pour être exploité dans le cadre de ce qui reste une œuvre de divertissement pulp et dans un contexte hollyw,oodien miné par les rumeurs d’abus sur de jeunes comédiens. Dans le cas de Se7en altérer sa conclusion changeait la nature du film alors qu’aucun des éléments retirés de 8MM qui reste une histoire beaucoup plus simple, n’étaient vraiment indispensables.


Après les sept péchés capitaux L’enfer de Dante sert de structure cachée au script de Walker, le personnage de Max California (Joaquin Phoenix) tel Virgile qui accompagne Dante tout au long de l’Enfer et du Purgatoire guide le privé Tom Welles dans l’enfer du snuff. Si Se7en était une approche profondément originale du genre « serial killer », dans le cas de 8MM la nature taboue de son sujet est sensée être suffisante pour troubler le public et semble dissimuler une histoire assez linéaire. Il rappelle beaucoup celui du Hardcore de Paul Schrader qui voyait George C. Scott partir à la recherche de sa fille disparue dans le monde du Porno. La découverte du fameux snuff film au travers les réactions sur le visage de Nicolas Cage reprend quasiment la scène du film de Schrader où le personnage de Scott découvre les « performances » de sa fille à l’écran. Walker l’habille d’une atmosphère désespérée et comme dans le film de Fincher met en scène un protagoniste qui affronte le mal absolu et en perd presque la raison dans son effort pour en comprendre les motivations profondes, mais sous ses aspects de film sulfureux, adopte un point de vue assez conservateur. Conservateur dans le sens où il ne remet jamais en cause les convictions du spectateur ni même de son personnage. Si il est ébranlé par sa plongée dans les ténèbres, le personnage de Welles réagit de la manière la plus traditionnelle dans ce genre de film en devenant un vigilante exterminant les responsables des crimes odieux, un cliché que déconstruisait justement le film de Fincher. Conservateur aussi dans sa vision de la transgression qui, en dehors de la thématique fictionnelle du snuff, se limite à une pornographie certes pas forcement ragoutante mais dont la déviance « extrême » n’apparaitra vraiment qu’au spectateur le plus prude du Kansas. Ainsi Le quartier rouge d’Hollywood où Nicolas Cage se promène et croise toutes les déviances est une pure création du chef décorateur Gary Wissner ( Souviens-toi… l’été dernier mais embauché sans doute pour sa participation à Se7en) puisque de tels quartiers inspiré par le Times Square du New-York des années 70 n’existent pas à Los Angeles mais doit correspondre à la vision de Sodome et Gomorrhe moderne qu’ont de la métropole californienne beaucoup d’américains. Malgré tout si il n’a pas la profondeur et l’élégance graphique de Se7en, 8MM fonctionne plutôt bien comme thriller pulp d’exploitation, le ton est résolument morose dès le départ, grâce à la palette de couleurs sombres et sinistres du directeur de la photographie Robert Elswit (on ne compte pas les séquences où le personnage de Cage traverse une série interminable de couloirs faiblement éclairés qui s’ouvrent sur divers établissements tous plus sordides les uns que les autres), Schumacher parvient à fabriquer des moments de terreur mais aussi d’empathie réelle en particulier dans les scènes impliquant la mère de la fille décédée, aidé par la partition cauchemardesque et étouffante du compositeur canadien Mychael Danna. Le récit se suit sans trop de temps morts, les dialogues de Walker sont percutants et parviennent à nous tenir en haleine grâce à une galerie de personnages marquants.


Quand Nicolas Cage tourne 8MM il est au sommet de son star power , il sort après un oscar du meilleur acteur pour Leaving Las Vegas d’une incroyable série de succès Rock , Les ailes de l’enfer, Volte/face même si elle vient de s’interrompre avec le Snake Eyes de De Palma mais déjà on sent les prémisses de ce qu’il va devenir par la suite, un acteur qui évolue dans sa propre dimension (il y sert ici quelques répliques hallucinées qui plairont à ses fans) et va se perdre dans des films de plus en plus médiocres. Un an avant sa révélation au grand public dans Gladiator, Joaquin Phoenix est remarquable dans le rôle de Max California guide de Cage dans le monde de la dépravation, leur duo fonctionne bien et il apporte au personnage une énergie nerveuse qui évoque le personnage de Dustin Hoffman dans Macadam Cowboy. Paradoxalement alors que 8MM se veut l’opposé de ses Batman, les antagonistes du film sont finalement aussi invraisemblables que les super-vilains qu’affrontent le caped crusader et comme dans ses superproductions sont incarnés par d’excellents comédiens qui en profitent pour cabotiner. C’est un des derniers rôles secondaires au cinéma de James Gandolfini avant qu’il ne change de dimension avec la série les Sopranos et il quitte l’univers des ordures dans lesquels on le cantonnait à l’époque avec son personnage sans doute le plus abominable, Eddie Poole un petit producteur de porno particulièrement sordide, sa dernière confrontation avec Cage est un duel de surjeu réjouissant pour le spectateur. Mais c’est sans doute à Peter Stormare (Fargo , Armageddon) que revient la palme du surjeu dans le rôle de l’étrange réalisateur de bondage-porno Dino Velvet. Autre habitué des rôles peu recommandables, Anthony Heald l’inoubliable Dr. Frederick Chilton du Silence des Agneaux est parfait de veulerie en avocat véreux dont on imagine sans peine qu’il n’est pas dérangé par les demandes les plus dépravées de ses riches clients. Si, on l’a dit, le travail d’Andrew Kevin Walker n’a pas la portée de celui de Se7en il parvient à créer dans 8MM une figure du mal réellement marquante dans le personnage de Machine un colosse masqué de cuir qui viole et torture des femmes sous la caméra de Dino Velvet, aussi mémorable sans doute que John Doe. Ce n’est pourtant pas son aspect visuel qui donne à Machine sa spécificité mais plutôt le visage qui se cache sous sa cagoule de cuir non pas une faciès défiguré à la Jason Voorhees mais celui d’un homme chauve à lunettes nommé George, un homme ordinaire dont le sadisme ne trouve pas ses racines dans quelques traumas de l’enfance, juste un homme qui tue simplement parce qu’il aime ça. Si il est peu probable de croiser un tueur maniaque comme Jason ou un psychopathe à l’intelligence supérieure comme John Doe ou Lecter, chacun peut croiser sans le savoir le mal ordinaire qu’incarne Machine, celui qui s’est exprimé tant de fois dans l’Histoire, chez les bourreaux nazis en particulier. Plus de vingt ans après sa sortie loin des attentes et des polémiques 8MM peut-être apprécié pour ce qu’il est une bonne série B de studio un peu racoleuse mais visuellement soignée, avec des dialogues bien tournés et servie par une brochette d’acteurs talentueux. On a déjà vu bien pire.

PatriceSteibel
6
Écrit par

Créée

le 28 janv. 2021

Critique lue 97 fois

PatriceSteibel

Écrit par

Critique lue 97 fois

D'autres avis sur 8MM - Huit millimètres

8MM - Huit millimètres
abscondita
8

Pourquoi?!!!

Voilà un film peu aimé que j’ai apprécié… Si je ne cours pas après les films glauques, celui-ci malgré son sujet sulfureux ne m’a pas paru être un film gratuitement sordide. Sordide il l’est avant...

le 6 août 2022

17 j'aime

14

8MM - Huit millimètres
Franck_Plissken
8

In The Heart Of Darkness

Plutôt méprisé lors de sa sortie (et toujours incompris de nos jours par certains), ce 13ème film du regretté Joel Schumacher a trop souvent été comparé à Se7en, écrit par le même Andrew K...

le 21 mars 2021

16 j'aime

24

8MM - Huit millimètres
Play-It-Again-Seb
7

"Hardcore" Hardcore

Le film a, il faut en convenir, ses maladresses. La dernière partie, notamment, n’est pas très bien amenée et les actes du personnage interprété par Nicolas Cage ne brillent pas toujours par leur...

Par

le 31 janv. 2023

14 j'aime

6

Du même critique

Le Fondateur
PatriceSteibel
8

Ça s'est passé comme ça chez McDonald's

Parfois classicisme n’est pas un gros mot , Le Fondateur en est le parfait exemple. Le film , qui raconte l’histoire du fondateur de l’empire du fast food McDonalds, Ray Kroc interprété par Michael...

le 26 nov. 2016

58 j'aime

1

Star Wars - L'Ascension de Skywalker
PatriceSteibel
6

Critique de Star Wars - L'Ascension de Skywalker par PatriceSteibel

Depuis la dernière fois où J.J Abrams a pris les commandes d’un Star Wars il y a un grand trouble dans la Force. Gareth Edwards mis sous tutelle sur la fin du tournage de Rogue One, après une...

le 18 déc. 2019

41 j'aime

7

7 Psychopathes
PatriceSteibel
8

Une réjouissante réunion de dingues (et de grands acteurs)

Avec ce genre de comédie noire déjanté et un tel casting j'apprehendais un film ou le délire masquerait l'absence d'histoire et ou les acteurs cabotineraient en roue libre. Heureusement le...

le 5 déc. 2012

36 j'aime

9