L’autofiction, c’est un bon plan : tu prends tout ce tu as pu vivre, et qui n’a rien d’exceptionnel puisque… c’est la vie, et tu l’exagères au point d’en faire la matière d’un récit.


Donc, quand tu enterres ton grand père, les larmes se mesureront en hectolitres, les plans du mort et des baisers dureront des plombes et pourront faire expérimenter au spectateur le décès par ennui, défi d’autant plus audacieux que le film ne dure que 90 minutes.


Quand dans la vie, t’es un peu égocentrique, dans l’autofiction, tu peux le sublimer en te filmant en permanence en train de chialer, de réfléchir, de dévisager les gens, ou à la faveur d’un clip pour les déplacements à vélo dans la capitale.


Quand dans la vie, t’as des problèmes relationnels avec à peu près toute ta famille, tu peux dire à des bons comédiens d’en faire des points de départ d’impros sur le plateau. Ça s’engueule, ça se balance des révélations (maman, j’ai peur de toi et ton odeur me dégoute) et au plan suivant, ça se fait des mamours autour d’une gueule de bois.


Quand dans la vie tu ne sais pas vraiment parler et que tu fais partie de ces gens qui trouvent la réplique qui tue dix minutes après l’échec d’un dialogue ou tu as fermé ta gueule, tu transformes ça en film et tu demandes à Louis Garrel de venir cachetonner, parce qu’il a des répliques marrantes qui feront passer 6 minutes agréables sur 90.


Quand dans la vie tu te sens de gauche mais que tu sais pas comment le mettre en valeur, tu intègres dans ton film des messages pour le rappeler : une table ronde d’experts pour montrer que les algériens de France ne sont pas tous Musulmans, que les Musulmans peuvent l’être par culture sans être pratiquants, qu’être un papa méchant, c’est aimer plus ses serpents que ses gosses et avoir voté Le Pen.


Quand dans la vie tu n’aimes pas quelqu’un, rien de tel que de l’exprimer dans un film ou tu mets en scène un rêve avec des serpents, la tronche de papa dans son assiette de lasagnes et un test salivaire qui ressemble à une tournante.


Quand dans la vie tu te cherches parce qu’on est tous un peu paumés à un moment ou à un autre, tu peux faire un film avec une quête identitaire où l’ADN expliquera pourquoi t’as mangé une omelette au chorizo, et qu’il faut faire du bruit en buvant son thé pour être une vraie algérienne dans un petit moment Nutella avec ta sœur qu’était un peu conne au début en partant le jour de l’enterrement mais qui va pleurer sur l’urne pour se réconcilier avec le deuil.


Quand dans la vie tu t’intéresses à un sujet, tu te documentes, et tu peux dans le film en profiter pour étaler ta culture, en mettant des bouquins partout, en citant des auteurs et filmant des bibliographies qui feront comprendre, à toute fin utile, que ton intérêt n’est pas une lubie mais un vrai cours d’Histoire, de société et de littérature. Non mais.


Quand dans la vie tu apprends que d’horribles événements ont eu lieu, tu raconteras l’histoire dans ton film, à renfort d’images d’archives, mais à ce moment-là, te rendant compte que tu n’es pas à l’écran, tu corrigeras le tir en te filmant devant une plaque commémorative faisant de toi une nouvelle Marianne suppliciée, puis, tant qu’on y est, une Liberté suivant le peuple algérien lors du printemps arabe.


Parce qu’il ne faut pas oublier l’essentiel : quand dans la vie, tu trouves que le monde ne tourne pas assez autour de toi, tu auras toujours la fiction pour faire de ton nombril éploré le vortex de l’univers.

Sergent_Pepper
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