➝ Retrouvez sur mon blog une diatribe contre les "traductions en anglais" douteuses de titres en France en introduction de cet article.


Soyez prévenus. You were never really here éclipse toute notion de cinéma “plaisir“ ou du moins “confort“. C’est un film d’une violence sans nom, tant psychologique que visuelle. Jamais dans la complaisance ni même dans le consensus, il montre en 1h25 bien plus d’abominations qu’on ne devrait théoriquement voir en une vie (une vie “classique“ bien entendu, libre à vous d’allez explorer les bas-fonds new-yorkais si cela vous chante).


Si You were never really here est si juste dans son propos, c’est parce que Lynne Ramsay parvient admirablement à définir - et maintenir - la différence entre héros et personnage principal. Joe, le personnage de Joaquin Phoenix est l’antihéros dans toute sa splendeur. S’il est bel et bien le protagoniste qu’on suit dans l’oeuvre, s’il poursuit en théorie un but positif (sauver une jeune fille des griffes d’un réseau de prostitution) ; le film n’omet jamais de rappeler qu’il est un être qui fait de la férocité une réponse universelle. Même à un simple regard de travers.
En effet, Joe est un écorché. D’abord par son enfance (c’est sans doute ce qui a plu à la réalisatrice dans le personnage imaginé par Jonathan Ames dans le roman dont le film est tiré), ensuite par la spirale de violence dans laquelle il s’est enfermé sans jamais parvenir à en sortir. Lynne Ramsay met en place un système de flash-backs ou plutôt hallucinations qui, tout en harcelant Joe, donnent des éléments de compréhensions au spectateur. Éléments qui jamais n’expliquent ou pire, n’excusent. Le spectateur et la réalisatrice constatent de concert les douleurs d’un homme tué par son enfance, qui paradoxalement vit toujours avec sa mère dans l’appartement où il a grandi, symbole de l’aliénation éternelle dans laquelle il est enfermé.
Évidemment, arrêtons-nous un instant sur l’interprétation de Joaquin Phoenix. On a tendance a récompenser les transformations physiques des acteurs, mais ici, même s’il s’est mué pour l’occasion en un musculeux grizzly bourru et balafré, sa performance va bien plus loin que ça. Il est Joe, se fait oublier, et on ne le remettrait pas un seul instant en question. Dans ce qui est une véritable mise à nu, il instaure une absence de barrière entre lui et la caméra ; il incarne, incandescent.


Alors que le déferlement de brutalité(s) était précisément ce qui n’était pas montré dans We need to talk about Kevin, son précédent long-métrage, Lynne Ramsay prend cette fois-ci le parti de ne rien éluder ni édulcorer. Les ignominies, les souffrances sont omniprésentes ; les membres sont perforés, le sang jaillit, les dents volent. Le marteau n’avait pas été aussi cruel depuis Old Boy. Cette violence, qui, pourtant, n’est pas esthétisée comme il serait tentant de le faire. Jamais traitée, brute pour ainsi dure, la réalisation préfèrera toujours le plan fixe à un montage vif qu’on pourrait attendre dans ce genre de situations. Sans artifices, direct, honnête : c’est là qu’il trouve sa justesse.


En définitive, You were never really here est, contrairement à ce que son piteux titre français et à sa laide affiche (…française, encore une fois) pourraient laisser penser, un excellent film. Pur, sans concessions, il rejoint aisément les grands noms du cinéma dur, exigeant, et encore plus aisément le haut du classement des meilleurs films de l’année cinématographique 2017.

Créée

le 8 nov. 2017

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