Joaquin Phoenix dévore la pellicule dans YOU WERE NEVER REALLY HERE, un polar hanté à l’amplitude esthétique et émotionnelle hallucinante.


YOU WERE NEVER REALLY HERE s’ouvre sur un décompte où deux voix sur superposent, celle d’un enfant et d’un adulte. En parallèle un homme s’étouffe et un autre remplit une mystérieuse mission en faisant couler du sang. Beaucoup d’informations en peu de temps. Lynne Ramsay instaure une multiplicité d’entrée de jeu, floute l’espace-temps (on ne sait pas qui fait quoi, quand et où par rapport au futur récit) et nous perd. La réponse est que tous ces corps, ces voix, sont le fruit d’une seule personne : Joe, un ancien combattant en Irak à l’esprit considérablement malade. Ces premières minutes sont importantes car elles définissent fondamentalement toute la ligne directrice du long-métrage, un polar ultra-violent associé à une exploration mentale d’un cerveau malade. Soit un film marteau dans les deux sens du terme. Habituée à provoquer le malaise, Lynne Ramsay reste sur son créneau et nous embarque dans un condensé d’1h35 de démence absolue.Pas adepte inconditionnelle de la finesse, la réalisatrice range sa caméra aux côtés de son protagoniste principal pour épouser les errances psychologiques dont il est victime. Joe étant fréquemment pris de visions, le film ne lésine pas sur les moyens pour nous balancer à répétitions des flash(back) issus de ses séquelles traumatiques. Souvent dégainées au forceps, ces instants deviennent réellement passionnants à partir du moment où ils instaurent une incertitude avec la réalité, noyant le spectateur en zone trouble. A l’image du final dans le café, où Ramsay use avec intelligence des dérives mentales de son personnage pour totalement abroger la frontière entre ce qui est réel ou non. Pas illogiques au demeurant, la majorité des visions de Joe versent dans le gadget artificiel surdosé pour, en définitif, perdre de leur impact sensoriel.


Mais Lynne Ramsay a de la chance. Elle a Joaquin Phoenix. Déjà validé comme un des plus grands acteurs de sa génération, il dévore la pellicule, inonde l’image, prend toute la place. La vraie magnifique idée, meilleure que les flahbacks, est de filmer son corps imposant pour retranscrire tout un passif. Le spectateur contemple chaque centimètre de sa peau avec l’impression de pouvoir sonder son âme sans qu’il n’ait besoin de parler. Les épaules larges, le ventre légèrement enrobé, les cicatrices impressionnantes et la barbe massive, c’est un corps-paysage aux reliefs fascinants que Joaquin Phoenix incarne de façon stupéfiante. On sent un vécu, une âme lorsque Ramsay s’applique à le cadrer remarquablement dans des scènes d’une sensualité à la fois virile et dépressive. On sent également tout le flair de la mise en scène, son inventivité, dans sa façon de capter ses déplacements fantomatiques. A base de cut intervenant trop tôt, d’utilisation maline des différentes valeurs de plan, elle créée un décalage entre lui et le reste monde. Avec pour aboutissement de lui conférer une aura à la frontière du surnaturel.Dans cette marée poisseuse, sous ce déluge de noirceur, Joe trouve une inattendue profonde épaisseur. L’ours tueur ne sait pas que se servir de son marteau (son arme de prédilection, tout un programme), il a aussi un cœur, certes ankylosé, capable de (se) battre. La magnifique synergie entre la forme du film et son héros guide le final vers un contre-point surprenant, renversant les attentes du genre et lui ouvrant grand la porte à l’intrusion d’une douce sensibilité. Si le film peut volontairement être qualifié d’exercice de style à cause de – ou grâce à – son amplitude esthétique et aux chemin sinueux qu’il emprunte pour aborder un genre codifié, le dernier tiers démontre que Lynne Ramsay n’est pas du tout dans une recherche de posture mais vise d’avantage un sincère élan d’apaisement. Attachée à son protagoniste principal, elle desserre l’étau pour lui dérouler le tapis rouge retardant ce qui aurait pu être son salvateur et tragique champ du cygne. Il n’a jamais été réellement là, jusqu’à cette fin. “Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière.” disait Michel Audiard. YOU WERE NEVER REALLY HERE le prouve implacablement.


Par Maxime Bedini pour Le Blog du Cinéma

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le 5 juin 2017

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