Une succession parfaitement calibrée de scènes magnifiques, rythmée par une bande son électrisante. Le colossal Joaquin Phoenix, mutique et pragmatique, dégage l’étrange charisme des gens usés qui ne produisent pas un mot, pas un geste vain. Il abat sa besogne avec ce qui relève plus de l’efficacité que de la brutalité, sans qu’émane de lui la moindre émotion si ce n’est une immense fatigue. Il a le regard aveugle des insomniaques, et son corps musculeux est d’autant plus menaçant qu’il parait complètement désincarné. Alors autant le perso « tueur stoïque et implacable mais avec des fêlures » manquait sérieusement de relief dans Drive, autant ici, on obtient quelque chose de bien plus consistant.


You were never really here c’est une fresque sublime qui mêle le passé asphyxiant et entravant, le fantasme macabre et la pulsion de mort, et le présent brutal auquel fait écho l’inanité sentimentale du héros. Avec pourtant, dans le marasme de l’enfance traumatique et d’une société nécrosée, une sorte d’aiguillon qui l’oriente intuitivement vers le bien : car des valeurs subsistent, seuls repères tangibles d’ailleurs, dans la descente aux enfers de cet Orphée autistique pour repêcher son Eurydice dans la fosse aux pédophiles.
On a reproché à Lynne Ramsay la pauvreté de son scénario, mais la sobriété de l’intrigue est largement compensée par d’authentiques moments de grâce (notamment les scènes qui illustrent la relation de Joe avec sa mère (celle du lac, d’une poésie quasi mythologique) les pulsions suicidaires fantasmées du perso, et l’errance au comble de l’angoisse dans le manoir labyrinthique, sanctuaire baroque du vice) qui ponctuent le voyage initiatique de cet antihéros aux confins de l’horreur. Pas de happy ending cependant, au terme de sa croisade sanglante Joe est toujours aux prises avec ses propres démons, mais il y a peut être une rédemption possible, en germe dans l’acte désintéressé qui aura permis de préserver un petit bout d’innocence chez celle qu’il a sauvée. On en sort franchement remué, (au même titre que We need to talk about Kevin) c’est un film assez éprouvant qui à le mérite de suggérer avec beaucoup d’intensité et de justesse l’intimité/l’intériorité de personnages profondément perturbés.


(On a pu lire partout, des mois avant la sortie du film, qu’il s’agissait du fier descendant de Taxi Driver ; je pense que cette promo foireuse est au moins en partie la cause de notes et critiques si mitigées : il ne s’agit pas d’un successeur ou d’un remake de l’œuvre de Scorsese, et le regarder selon cette perspective à de fortes chances d’éclipser ses qualités)

EstherQuernai
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 25 janv. 2018

Critique lue 219 fois

2 j'aime

EstherQuernai

Écrit par

Critique lue 219 fois

2

D'autres avis sur A Beautiful Day

A Beautiful Day
Velvetman
8

Camé et Léon

Il existe ces films qui vous happent physiquement, qui détiennent au fil des minutes une emprise machiavélique sur votre regard par rapport à l’image. A Beautiful Day fait partie de cette...

le 6 nov. 2017

101 j'aime

4

A Beautiful Day
Behind_the_Mask
8

The Death of Childhood

C'est un fantôme qui erre dans les rues, dans la nuit de Cincinatti. Sa démarche est lourde, sa silhouette épaisse. Il est hirsute, le regard parfois vide. Agité de traumas, comme l'image qui se...

le 6 nov. 2017

64 j'aime

14

A Beautiful Day
Clode
7

Un sourire

Joe aime les marteaux. Les marteaux noirs en acier, avec écrit dessus "Made in Usa" en petites lettres blanches. Dans sa main, les marteaux paraissent petits. Les marteaux sont gros, aussi gros qu’un...

le 9 nov. 2017

54 j'aime

4

Du même critique

Ghostland
EstherQuernai
8

Les petites marionnettes

Vu lors de la reprise Gerardmer à la cinémathèque, Ghostland a fait salle (presque) comble, la faute à Mylène ou à une belle promo à base de grand prix; toujours est-il qu'il est délicat pour une...

le 10 févr. 2018

14 j'aime

Wounds
EstherQuernai
6

Plaies ouvertes et métaphores bancales (spoilers de partout)

Après avoir regardé bon nombre de productions Netflix estampillées horreur tristement creuses (je pense notamment à l'affreuse et malhonnête série Chambers, l'insipide Dans les hautes herbes, ou le...

le 28 avr. 2020

10 j'aime

2

Spider-Man
EstherQuernai
9

Who am I? I'm Spider-Man

Meilleure adaptation Marvel de tous les temps, rien que le générique (bien long, bien 2000, genre on se demande si on n’a pas fait un black-out pendant le film et en fait c’est le générique de fin)...

le 19 mars 2018

6 j'aime

3