Une expérimentation ratée malgré un grand Joaquin Phoenix

Lynne Ramsay est une réalisatrice rare. Auteure de seulement trois longs-métrages (Ratcatcher, Morvern Callar et We Need to talk about Kevin) depuis ses débuts en 1999, elle a réussi à se construire une identité et un style comme peu de réalisateurs peuvent se targuer. You were never really here, son nouveau film était très attendu.


Le choix afin de Joaquin Phoenix afin d’incarner le personnage principal du film mettait l’eau à la bouche. Considéré comme l’un des meilleurs acteurs de sa génération pour sa faculté à se glisser dans des rôles d’hommes complexés ou fantasques, son association avec le talent et la maîtrise de l’univers psychologique et torturé de la réalisatrice écossaise promettait d’être alléchant.


Joaquin Phoenix est un acteur qui se donne dans ses rôles, qui va très loin, parfois trop loin. A la suite de son rôle dans le biopic « Walk the line » où il incarnait un Johnny Cash alcoolique et tourmenté, il s’est retrouvé plongé dans une addiction à l’alcool dont il a mis des années à sortir. Son interprétation de Freddie Quell dans The Master était également remarquable d’investissement et de jusqu’au-boutisme. Tombé sous la coupe de Philip Seymour Hoffman, un gourou implacable et envoutant, ce film a des liens avec l’histoire personnelle de l’acteur. Elevé au sein d’une secte, il a ensuite vu son frère, le talentueux River Phoenix (Stand by me, à bout de course) décéder des suites d’une overdose à seulement 23 ans.


Autant dire, qu’on était curieux, presque inquiet d’observer jusqu’où Joaquin Phoenix allait pousser sa prestation. Ses nombreuses collaborations avec Paul Thomas Anderson et James Gray ont démontré son incroyable faculté de caméléon et son attirance pour des rôles complexes et extrêmement psychologiques.


Justement récompensé par un prix d’interprétation à Cannes, l’acteur impressionne par sa transformation physique sauvage et son allure hagarde, sans cesse au bord de la rupture. La performance de l’acteur en ex-tueur en gage est impressionnante mais ne suffit pas à sauver les apparences et à faire oublier les défauts majeurs du film. Récompensé d’un prix pour le scénario au dernier festival de Cannes, on se demande si le jury a vu le même film que nous, car c’est plutôt l’absence de scénario qui est criante. L’intrigue est décousue, sans aucuns dialogues et c’est parfois très poussif.


Le montage et la photographie laisse un goût d’inachevé voire franchement d’expérimentations ratées. La quête du personnage dans la jungle urbaine se heurte à un New York à peine reconnaissable, contrairement à ce que les frères Sadie avaient réussi à dépeindre dans « Good Time », en en faisant presque un personnage à part entière de leur récit. Alors certes la mise en scène n’est pas inintéressante, très travaillée sur certains plans avec une vraie recherche artistique, esthétique et psychologique, mais de nombreuses scènes sont tournées avec un cadrage trop rapproché et le choix d’omettre certaines scènes de violence est péjoratif à une œuvre qui justement se construit autour de la violence. Cette représentation de la violence en devient presque caricaturale. Lynne Ramsay ne parvient jamais à trouver la justesse ou la folie au sein de la violence qu’un réalisateur comme Nicolas Winding Refn sait si bien mettre en exergue (la trilogie Pusher, Drive ou Bleeder).


Loin de la violence perverse et raffinée d’Old Boy ou de l’efficacité brute et méthodique de Taxi Driver auquel il a été souvent comparé à tort, You were never really here est un parent pauvre du cinéma indépendant, un essai pas dénué d’intérêt mais à la portée limitée et à l’ambition pas franchement assumée.

Paul_Gaspar
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le 23 avr. 2021

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