L'erreur avec ce film serait de tenter une lecture politique simpliste, voire une lecture politique tout court. Il me semble que nombre de spectateurs (moi compris, lors de mes précédents visionnages) s'y sont essayés, avec, pour les plus lucides, un même résultat: le message du film est insaisissable. 

Quant aux autres, en majorité ceux qui ont cru y voir un film fasciste, ou un film de propagande étatique pro-policière, il m'est impossible de croire qu'ils ont regardé le film de manière attentive: soit lucidité corrompue, soit logiciel idéologique de déformation de la réalité, ils sont totalement passés à côté du film. A.C.A.B, une œuvre fasciste? Mettons de côté que je doute qu'il se trouve moins de 200 personnes en France capables de nous expliquer précisément ce que recouvre la notion. Il est vrai qu'on suit des policiers italiens (CRS) à qui il arrive d'être violents avec les roms, et qui tiennent des discours identitaires. Pourtant, certains semblent oublier que les principaux "antagonistes" du film sont des skinheads, par ailleurs qualifiés de "merdes" par l'un des personnages principaux, CRS membre de la bande que l'on suit.
Quant à ceux qui y voient un film de propagande étatique pro-policière, on est en droit de se demander où est l'intérêt pour l’État et la police dans ce film qui montre une bande de policiers ultra violents agissant hors de la légalité...


La parenthèse était longue, mais nécessaire.


Pourquoi le film apparaît-il insaisissable à celui qui tente d'en faire une lecture politique? Simplement parce qu'il ne défend pas d'idée politique particulière. Son essence, loin d'être un parti pris de cette nature, apparaît plutôt comme descriptive, réaliste. Ce que raconte A.C.A.B, c'est le mal-être d'une époque de crise à travers le récit d'individus méprisés par le haut comme par le bas de la société.


Ces CRS, désabusés, dégoûtés, abandonnés, se raccrochent à ce qu'ils peuvent pour oublier la médiocrité de leur individualité de "flic de merde" (ils se qualifient ainsi eux-même), sans influence, forcés d'obéir aux ordres de politiques qu'ils considèrent comme des escrocs.
Et la seule chose qui puisse leur faire oublier la médiocrité de leur existence (de mauvais père, de mari violent,...) c'est leur groupe, leur fraternité, qui va leur servir à transcender leurs tristes existences individuelles. De cette fraternité, ils se font une carapace, qui va leur permettre se s'isoler d'une époque, d'un contexte social, économique, politique qui ont produit leur mal-être, ainsi que cette médiocrité qui les a désenchantés. Dès lors, tout moyen est bon pour se distinguer du reste des hommes, et c'est là que l'interprétation politique devient intenable: au sein de leur pays, ils sont les italiens de souche, par opposition aux étrangers; au sein de ces italiens de souche, ils sont policiers, ce qui fait qu'en tant que garants de l'ordre, ils ne se mêlent pas aux mouvements politiques identitaires; au sein de la police, ils sont les CRS, des guerriers méprisant leurs collègues plantons et "chauffeurs de fauteuils" (voir les dessins guerriers et la fresque murale d'un des personnages); au sein des CRS, ils ont leur groupe particulier. La solidarité de la bande fait passer les frères avant tout. Jusqu'au jour où, par solidarité, ils finissent par s'enfoncer dans l'illégalité.
Le film ne montre absolument pas les policiers comme des ordures hors-la-loi: c'est comme nous l'avons dit, un groupe particulier au sein des CRS que l'on suit, ce qu'illustre particulièrement la scène finale, quand, arrivant sur les lieux d'une intervention, l'un des personnages, dans un car de CRS, au milieu de collègues qui n'appartiennent pas à sa bande, commence à entonner ce qui, au sein de cette dernière, est un peu devenu leur hymne; il se heurte à un silence terrible, et se rend compte de sa solitude.
La bande n'est qu'un membre pourri du corps policier.


Je crois en avoir assez dit. Je n'avais pas pour but de rentrer dans tous les détails du film. Je ne m'étends donc pas sur le contexte économique, social et politique de l’œuvre. Il y aurait aussi à dire sur le personnage du jeune bleu, qui va notamment servir à montrer le ciment qui unit le groupe et à poser le dilemme de la solidarité privée fraternelle face à la légalité. On pourrait aussi parler de la fin du film, presque fantastique, par laquelle les personnages vont payer leurs erreurs passées: on finit toujours par passer à la caisse. Sur la forme, l’œuvre est jouissive.


Bref, A.C.A.B est une œuvre complexe, intense, et forte, donc attention aux interprétations politiques un manichéennes.

MarshallPutain
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 21 sept. 2018

Critique lue 278 fois

1 j'aime

1 commentaire

MarshallPutain

Écrit par

Critique lue 278 fois

1
1

D'autres avis sur A.C.A.B : All Cops are Bastards

A.C.A.B : All Cops are Bastards
Vnr-Herzog
8

C'est un oiseau ? C'est un avion ? Non, CRS

ACAB est un acronyme signifiant All Cops Are Bastards, l'équivalent international du "CRS, SS" de nos parents soixante-huitards. Un slogan nous venant des skinheads anglais mais qui s'est diffusé...

le 12 mai 2014

22 j'aime

2

A.C.A.B : All Cops are Bastards
Marvelll
7

La Polisse anti-émeute italienne

A la suite de notre Polisse national, l'Italie offre aussi un long-métrage sur sa police avec un titre classe, A.C.A.B (All Cops are bastards). Toutefois, on s'épargne les errements de Maiween...

le 13 juil. 2012

18 j'aime

A.C.A.B : All Cops are Bastards
Pom_Pom_Galli
5

Critique de A.C.A.B : All Cops are Bastards par Pom_Pom_Galli

Le propos politique d'A.C.A.B est relativement ambiguë. D'un coté les CRS sont dépeint comme de gros bourrins, fachos, violents, cyniques et abusant du pouvoir de leur uniforme. Bref, une vision pas...

le 27 nov. 2013

10 j'aime

2

Du même critique

Vies parallèles
MarshallPutain
9

Critique de Vies parallèles par MarshallPutain

Plutarque naît vers 45 après JC. Son œuvre, comme sa vie, fut en quelque sorte placée sous le signe de la mixité, du croisement. Je m'explique. Plutarque est un grec, non de l'époque de la grandeur...

le 16 sept. 2018

6 j'aime

4

Bel-Ami
MarshallPutain
8

Critique de Bel-Ami par MarshallPutain

Georges Duroy, après avoir servi en Afrique, vient comme des milliers d'autres tenter sa chance à Paris. Mais il est à peu près démuni. C'est en rencontrant par hasard un ancien camarade de régiment...

le 25 août 2018

5 j'aime

3

Austerlitz
MarshallPutain
8

Critique de Austerlitz par MarshallPutain

Austerlitz est une œuvre ambitieuse. Plus, bien plus qu'un récit de bataille, le film dresse le tableau d'une époque, l'une des plus agitées de l'histoire de France (et de l'Europe). De ce fait,...

le 11 sept. 2018

4 j'aime