Ces dernières années, David Cronenberg avait impressionné la critique et les spectateurs en nous offrant deux œuvres noires sur le milieu du banditisme et plus particulièrement de la mafia : A History of Violence et Les promesses de l'ombre. Simplicité, violence crue, histoires prenantes, personnages convaincants, le réalisateur a su nous procurer de purs moments de cinéma, y ajoutant sa touche personnelle et un classicisme tout ce qu'il y a de plus adapté. Bref, l'attente de ce dernier film a été longue tant je suis tombé sous le charme de l'univers qu'il avait construit ces dernières années.
Problème : si le pari était ambitieux et si le réalisateur a le talent nécessaire, le coup est raté. C'est d'autant plus dommage que tenter de retranscrire la vie de Freud et Jung et leurs relations complexes pour tenter de renouveler le traitement psychiatrique était, sur le papier, passionnant. Car l'erreur principale réside dans le fait que Cronenberg n'apporte aucun éclaircissement historique, aucun parallèle ou presque avec le contexte de l'époque, le refus des théories de Freud par le reste des spécialistes n'apparait et on s'aperçoit que le scénario reste sur une approche paresseuse de la transformation de la relation Docteur/Patiente en relation amoureuse entre Jung et Spielrein, certes assez complexe et plutôt intéressante en soi mais qui ne peut être un sujet unique pour un film d'une telle ampleur.
Ainsi, on peut voir Freud pendant quelques 20 minutes de film et observer comment Jung succombe à la tentation de tromper sa femme avec son ex patiente S&M le reste du temps. Et d'ailleurs il va même jusqu'à tomber dans une sorte de folie en admettant avoir des rêves prémonitoires et se sentant dans l'obligation d'indiquer aux patients le chemin à suivre : il passe donc de docteur à messie, de simple observateur et analyste de la maladie à malade s'imaginant le pouvoir de changer la vie des personnes selon une voie que seul lui connait.
Et il est dommage d'en arriver là, d'accentuer à ce point cette relation et cette détérioration du personnage puisqu'on en vient à douter de l'essence même de la psychanalyse. Là où Freud veut établir un raisonnement scientifique en se basant sur des faits, sans rien en déduire, Jung veut transformer cette science en pseudo religion. D'ailleurs, le film restera sur ce point de vue tout au long du film et même à l'extrême fin lorsque Michael Fassbender annoncera avoir eu un rêve prémonitoire décrivant la première guerre mondiale à venir. Un Michael Fassbender surestimé, comme c'est souvent le cas et encore une fois en train de jouer les malades sexuels alors que Viggo Mortensen n'est que trop peu présent à l'écran.
Finalement, le personnage principal de Jung devient agaçant quand ses acolytes (Mortensen et Knightley) resplendissent : cette dernière que je n'aime pas dans d'autres films, m'a surpris de par son exceptionnelle interprétation, a réussi à me mettre mal à l'aise durant ses crises et triste quant à l'amour impossible qu'elle doit oublier. Mortensen, quant à lui, est tout juste incroyable comme à son habitude et je ne peux que saluer ses qualités d'acteurs indéniables.
Dernier regret, et pas des moindre, le film est en anglais d'un bout à l'autre quand l'histoire se déroule en Autriche. Et la performance de Fassbender en devient encore plus irritante à cause d'un accent anglais des plus agaçants sorti de son contexte.
En résumé, on a affaire à un film esthétiquement parlant très beau et très propre (trop peut-être au vu de l'époque où se situe l'action) avec des acteurs parfois fabuleux mais cela ne suffit pas. Trop d'erreurs commises, un sujet mal traité et donc une très grande déception pour un David Cronenberg qui avait su me surprendre dans ses deux précédents films. Car il n'était nullement besoin de présenter deux personnages historiques aussi importants de l'histoire de la médecine pour nous raconter une histoire d'amour assez morne et même parfois malsaine. Peut-être qu'un réalisateur comme Michael Haneke aurait su capturer et exploiter le sujet justement, dans des explosions de violence à travers un contexte historique réel, un peu comme dans son magnifique Le Ruban Blanc.