Un Cronenberg mineur qui se laisse voir avec plaisir

La sortie du dernier film de David Cronenberg (La Mouche, A History of Violence...) est toujours un petit évènement en soi, surtout vu la qualité de ses derniers films. Le cinéaste fasciné par la chair, la sexualité et la médecine fait ici un film consacré à la psychanalyse, thème autour duquel il a souvent tourné, en situant l'histoire de son film au début du 20ème siècle avec pour protagonistes Carl Jung, Sabina S. et bien sûr Sigmund Freud. L'occasion de découvrir un pan peu connu de l'histoire de la psychanalyse et d'explorer une nouvelle fois différentes facettes de la personnalité humaine même si le célèbre cinéaste canadien paraît bien assagi ici, peut-être trop.



Depuis 2007 et Les Promesses de l'ombre, Cronenberg était absent du grand écran. On peut donc dire qu'il a eu le temps de peaufiner son projet sur la psychanalyse exposant en toile de fond la rivalité entre Jung et Freud. On aurait pu s'attendre à une banale biographie se contentant de narrer de simples faits historiques. A Dangerous Method arrive quand même à s'éloigner de ce schéma-là sans pour autant sonder en profondeur l'âme humaine. Au moins le film a le mérite de ne pas s'attarder sur tous les détails de la création de la psychanalyse, ce qui aurait pu être lourd. Ici l'action se concentre davantage sur le "front" Jung/Freud tout en racontant cette histoire d'amour, de fascination et d'attirance entre le docteur Jung et sa patiente, Sabina Spielrein.

Visuellement parlant on touche le très bon et le moins bon mais mon impression reste positive. La mise en scène est sobre, propre. Peut-être un peu trop d'ailleurs... Les décors sont impeccables, tout est beau, pas une tache, ça ne flaire pas forcément le naturel. Bon après ça reste un détail, Cronenberg illustre quand même bien ses qualités de formaliste. Certains plans sont magnifiques, notamment lors des passages sur le lac. Globalement la gestion des cadrages est admirable, Cronenberg n'en fait jamais trop. Le seul bémol de taille restant l'arrivée à New York qui transpire le numérique et qui est vraiment très laide. Hormis ce passage de 30 secondes, il n'y a aucun défaut majeur à signaler, la réalisation reste de très bonne facture.

Comme je l'ai laissé entendre précédemment, le film aurait pu être profond, plus riche. Cronenberg donne l'impression de trop rester en surface et de ne pas forcément épaissir les personnages. Ceci dit ceux-ci restent intéressants à voir évoluer. Non seulement grâce à la qualité des interprètes mais aussi car il y a des choses intéressantes, ces joutes verbales entre Freud et Jung, sans être particulièrement jouissives, restent passionnantes et enrichissantes. De plus ça nous permet de découvrir que les pères de la psychanalyse moderne n'étaient pas forcément des modèles, Jung étant dépassé par son attirance pour Sabina et Freud volontiers hypocrite et menteur.

Keira Knightley est assez étonnante dans ce rôle pas forcément évident. Elle m'avait déjà convaincu dans Orgueil et Préjugés ou encore Reviens-moi (oui oui, elle n'a pas fait que Pirates des Caraïbes, fort heureusement d'ailleurs) et ici elle prouve une fois encore qu'elle est une actrice talentueuse, à laquelle il faudrait confier davantage de rôles dans cette veine-là. Michael Fassbender est très bon également, si il est moins fascinant que dans Shame sa composition ici reste tout à fait admirable. Cet acteur est réellement charismatique et ira loin je pense. A surveiller de près avec Gosling.
Viggo Mortensen, devenu un véritable habitué de Cronenberg maintenant, est un peu plus en retrait, un choix voulu par le réalisateur cependant. Mais il confirme une nouvelle fois qu'il est un très bon acteur. Moins remarquable que dans A History of Violence (bon en même temps difficile de faire mieux), il est quand même très convaincant. A noter également l'apparition remarquée de Vincent Cassel, calme et provocateur, détendu et assoiffé en même temps.



Le film, dans sa construction scénaristique, ressemble un peu à Faux semblants, sorti par Cronenberg en 1988. Deux hommes vont être séparés par une femme même si dans Faux-semblants les deux jumeaux interprétés par l'excellent Jeremy Irons était attirés tout deux par la jeune femme. Dans A Dangerous Method, cela donnera lieu à un différend d'ordre médical, Jung ayant fondé une théorie différente de Freud et franchissant une frontière morale avec cette relation sexuelle et sentimentale débutée avec sa patiente.
Cronenberg parle de sexualité, d'attirance, mais ça m'a semblé bien sage à ce niveau-là. En même temps de la part d'une réalisateur réputé trash il est vrai que je m'attendais à plus charnel, plus tourmenté, un peu à la manière de Faux-semblants justement. Mais là la fascination paraît un peu expédiée, du moins c'est le ressenti que j'en ai eu. On sent l'attirance entre Jung et Sabina, mais celle-ci semble un peu rapide et ne m'a convaincu qu'à moitié.

La confrontation entre Freud et Jung est plus intéressante. On les sent reliés par le même esprit, les mêmes valeurs intellectuelles et leurs théories diffèrent peu mais la rivalité éclate. Freud veut laisser les portes ouvertes, comme il le dit à un moment dans le film, mais semble vouloir conserver jalousement l'exclusivité de ses idées tout en revendiquant haut et fort la paternité de la psychanalyse moderne. L'humilité n'étant pas son fort, il se fera également une joie de constater l'impuissance de Jung à résister à l'appel de la chair.
Jung qui apparaît finalement comme un homme comme les autres. Attiré par l'aventure, l'adultère et le simple plaisir charnel mais incapable d'y céder totalement, de peur de perdre son confort douillet assuré par la richesse de sa femme. La scène finale est très belle d'ailleurs, un condensé de la relation Jung-Sabina filmée de fort belle manière. Cronenberg dans l'ensemble du film a quand même réussi à peindre une société bien moderne, malgré le siècle qui la sépare de la nôtre. Le film est intelligent et bien pensé, il manque juste un peu d'épaisseur.

A Dangerous Method n'est clairement pas le meilleur film de David Cronenberg mais il reste tout à fait correct, même plutôt bon. Ca manque de matière et de richesse certes, les troubles humains ne sont pas illustrés très brillamment. Mais la qualité visuelle, l'excellente composition des interprètes et l'intérêt que je porte à la psychanalyse ont suffi à me convaincre. C'est un film très dialogué qui peut laisser sur le côté les personnes ne s'intéressant pas à la psychologie mais je ne trouve pas ce film ennuyeux. Il y a quelques passages sublimes, des passages forts (les scènes avec Cassel restant mes préférées) et mon impression reste globalement positive. Un film à voir.
Moorhuhn
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le 18 avr. 2012

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Moorhuhn

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