La vie, la mort, le temps, l'éternité

Avec A Ghost Story, nous ne sommes certainement pas face à la sortie-événement de l’année, et pourtant. Hélas, une distribution très timide et tardive dans les salles obscures françaises et une communication peu audible à son sujet l’ont relégué au statut de petit film indépendant destiné à errer dans les salles cachées des grands cinémas, où seuls quelques audacieux iront s’aventurer pour s’offrir une séance du film de David Lowery. J’avais déjà vécu de belles séances durant l’année 2017 et ma liste de mes films favoris de l’année semblait arrêtée, jusqu’à ce que je tombe sur ce curieux fantôme dont je ne savais quasiment rien.


A Ghost Story n’est pas un film qui a été pensé pour les gens pressés. Très contemplatif et taiseux, il offre de longs plans fixes et sans dialogues, qui laissent la place à l’introspection et à la réflexion. Ceux qui connaissent le film se rappelleront notamment de la fameuse scène de la tarte, pendant la quelle Rooney Mara mange une tarte en plan-séquence, sans interruption, durant près de cinq minutes. A lire ces lignes, on pourrait ce dire qu’il s’agit d’un film ennuyeux et tiré par les cheveux. Pourtant, A Ghost Story surprend par sa capacité à s’approprier la thématique du rapport à la mort, le tout en étant capable d’être très terre-à-terre et de se permettre d’avoir des penchants pour le fantastique.


Tout d’abord, A Ghost Story est un film sur le deuil. Certes, il y a le deuil de la femme qui a perdu son mari trop tôt et dans des circonstances tragiques, mais on observe également le deuil du défunt mari qui a dû subitement quitter le monde des vivants, se retrouvant emprisonné dans ce drap mortuaire qui le recouvre pour l’éternité et lui a ôté la parole. Sur ce point, le film s’avère plein de poésie, en montrant ce fantôme comme un spectateur du monde des vivants, où il s’éternise car il veut continuer à exister d’une certaine manière, et car son deuil n’est pas encore achevé. Cette phase de deuil, judicieusement construite sur une accélération progressive, débutant notamment sur la fameuse scène de la tarte qui traduit le poids de la solitude et de la tristesse, s’accélère et laisse peu à peu place à un véritable conte sur le temps où nos repères s’effacent autant que nos sens s’aiguisent.


A Ghost Story s’intéresse également à l’empreinte que nous laissons sur le monde, et à l’effet du temps sur ce dernier. Le film cherche à nous montrer que les hommes ont pour but de créer de leur vivant pour construire un héritage qui leur subsistera, dans un discours presque fataliste qui montre que, finalement, nous passons notre vie à préparer notre mort. Toutefois, cette dernière n’est pas montrée comme spécialement destructrice ou redoutable. En effet, elle fait partie d’une vaste machinerie universelle où le temps suit une boucle, où l’univers évolue, régresse, et évolue à nouveau. Cette dualité entre construction et destruction gouverne cette intrigue qui part de l’échelle d’une maison, pour finalement embrasser l’univers entier et plonger le spectateur dans un véritable vertige spatio-temporel.


On pourra donc accorder plusieurs lectures au film. Celle d’un film sur le deuil, celle d’un film sur le fait d’être acteur de notre propre vie et de celle des autres, et de ne pas être le fantôme de sa propre existence, mais aussi celle d’un film sur le temps et les lois de l’univers, un regard porté sur l’éternité, avec poésie, contemplation et mélancolie. A Ghost Story est cette surprise inattendue, ce petit film modeste en apparence, mais vertigineux par son propos, offrant une claque esthétique, accompagné d’une superbe BO, et offrant une expérience cinématographique comme j’en avais peu eu cette année. Sans conteste, un de mes grands coups de cœur de 2017, que j’espère revoir rapidement.

JKDZ29
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le 17 janv. 2018

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