Il est fortement conseillé de voir cette ghost story au cinéma: déjà parce qu’il ne va pas faire beaucoup d’entrées, surtout parce qu’il semble difficile de l’apprécier pleinement si on ne se force pas un minimum.


Être coincé dans un siège de cinéma, c’est se mettre dans la position du personnage principal, c’est partager pendant quelques minutes son sentiment d’enfermement et ça aide à aller au bout.


Il est aussi recommandé de voir le film sans en savoir trop, sans rien attendre de particulier, juste en se laissant porter et en essayant de comprendre, en lâchant prise aussi par moments, il est par conséquent fortement déconseillé d’aller plus loin dans la lecture de cet avis si vous n’avez pas vu le film.


On aurait pu renommer le film “une merveilleuse histoire du temps”: parce que dès le départ il joue avec nos habitudes. Il n’hésite pas à s’installer lentement.
Un joli couple papote dans sa petite maison, se chamaille un peu, se dorlote longtemps, et ça traine.
Dès l’introduction la notion de temps domine: on ne saurait pas définir si ce sont quelques secondes, jours, mois ou années qui séparent les conversations.
Et puis vient le virage, on troque un acteur contre un drap.


Le personnage dont on ne connaissait déjà pas grand chose, pas même le prénom, perd tous ses attributs, ne parle plus, n’existe plus que derrière un suaire, et à travers son obsession.
Avec lui on prend la mesure de la tristesse: la sienne quand il erre dans sa propre maison sans qu’on le remarque, celle de sa veuve qui nous livre une scène de deuil improbable devant une tarte.
Jusque là le spectateur est dubitatif.
Parce que la force du film ne saute pas aux yeux (même si les images sont jolies): il nécessite de tenir bon, d’accepter de se fixer, de ne pas bouger de son plan pendant plusieurs minutes, de prendre le recul nécessaire pour scruter les sentiments sans les présenter autrement que par l’image et l’évocation
Pas besoin de nous expliquer, il suffit de montrer. Show don’t tell comme on dit.


D’abord il y a ce cadre resserré qui donne l’impression de regarder des diapositives, et puis les images fortes, une mise en scène minimaliste mais efficace, où les plis du drap suffisent à nous émouvoir.


Le héros du film c’est cette silhouette tout en plis, qui traine sa grande carcasse à l’allure de madone, de statue romaine, de pleureuse magnifique ou de mariée maudite quand son suaire forme une traine sur le plancher.
Les trous qui symbolisent les yeux suffisent à évoquer la tristesse de l’âme en peine.
L’absence de visage permet d'interpréter comme on veut l’errance du disparu. Le film laisse à chaque spectateur le soin de le comprendre à sa façon, à la lumière de sa propre vie, et c’est pour ça qu’il nous touche profondément.


Et puis il y a ce temps, le temps qu’on prend pour profiter d’une étreinte, puis en échos le temps d’exprimer son deuil dans la solitude d’une maison vide, le temps qu’on trouve trop long, et puis qui file, qui aide à panser les blessures, qui permet de se relever après une disparition et de réinventer sa vie.
Et puis vient la suite, l’éternel recommencement, et à force d’élipses, d’avances rapides, de pauses, de retours en arrière, on voit la vie des autres qui défile. Le temps devient flou, et on imagine que les élipses ne sont pas qu’un procédé de cinéma, que le fantôme aussi est présent par à coups.
A forces de rencontres, on mesure l’inexorable et on est convaincu d’une chose: tout disparait un jour ou l’autre.
Tout est voué à partir, pourtant on reste prisonnier de nos obsessions, on reste mû par des aspirations qui ne s’expliquent pas et qui nous sont propres, on reste humain, notre quête nous tient en éveil.
Cette quête personnelle, on la vit seul, parfois on a l’impression de passer à côté, d’être spectateur de sa propre existence, tel le fantôme solitaire du film.


On pourrait penser que ce constat d’un monde voué à la destruction rend le film mélancolique, et il l’est par certains aspects, mais avant tout il est émouvant, et voir ce fantôme continuer à chercher des réponses à travers le temps, ça peut aussi avoir un côté positif, nous montrer que oui nous aussi on a des raisons d’insister, des raisons de continuer.
Pourtant on n’arrive jamais à formuler nos souhaits, nos attentes, nos envies aussi simplement que dans le film la quête d’un morceau de papier, mais dans le principe on est pareil.
Peu importe qu’on connaisse notre destin final, on continue de mener notre barque, parce que c’est ce qui fait la vie: notre capacité à créer, à tenir, à chercher le bonheur, afin de remplir le vide qui nous sépare de notre disparition.


“A ghost story” est un joli film, qui peut facilement parler à tous puisqu’en limitant les dialogues, en mettant en scène un personnage sans visage, il nous laisse interpréter.
Seul le discours sur la fugacité de nos existences et de ce qui nous semble immortel permet d’aiguiller nos réflexions, et c’est à partir de lui et des dernières minutes qu’on se dit qu’on a bien fait de rester.


Comprendre après un film ce qu’on a ressenti sans en avoir conscience, aimer le redécouvrir à travers les souvenirs qu’on en a, et se dire qu’il a suffit de peu de moyens, d’un drap troué et de beaucoup d’idée pour nous donner tout ça, ça fait du bien.
Surtout ça nous montre qu’on n’a pas encore tout dit et tout fait, qu’il reste des magiciens pour nous éblouir, pour sonder nos âmes quand on n’y croyait plus.


Merci pour cette jolie pépite.

iori
8
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le 11 déc. 2017

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iori

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