Il n’est pas toujours aisé de distinguer les errances gratuites d’un auteur des véritables prises de risques payantes et pertinentes. Et cela « A Ghost Story » l’illustre bien.


Dès le début de ce film il y a des choix formalistes qui interpellent. Un format carré. Un goût pour les silences et les temps longs. Une approche intimiste parfois focalisée sur des détails singuliers. Et surtout un habillage sonore qui pose une patte. Une atmosphère.


Mais tout cela n’est qu’un début justement.
Ce sont les premiers mètres de pente avant qu’on ne s’élance pleinement sur le tremplin.
Ainsi, passé le premier quart d’heure, les partis-pris deviennent plus radicaux. Déroutants.
Il y a d’abord ce drap fantôme qui interroge tant il mobilise une symbolique désuète et presque risible alors que l’atmosphère est à la tragédie et à la mélancolie.
Il y a aussi cette tourte qu’on regarde mangée en plan séquence pendant des minutes entières – littéralement – le temps que l’auteur s’assure bien que tout le monde trouve ça trop long.
Et puis il y a tout le reste qui s’enchaîne derrière et auquel il est quand-même bien difficile de s’attendre…


Je parle bien évidemment du départ du personnage incarné par Rooney Mara de la maison, laissant derrière elle le fantôme de son défunt compagnon.
…Puis de l’emménagement d’une nouvelle famille.
…Puis de l’emménagement de colocataires.
…Puis de la destruction de la maison.
…Puis de l’édification du building.
…Puis du suicide du fantôme (woh ! Un suicide de fantôme ?!) pour revenir dans le passé au moment de la construction de la maison !
…Puis du parcours du fantôme à travers jusqu’au moment où il peut revoir sa vie passée avec le personnage incarné par Rooney Mara !


Je vais être honnête. Oui, moi aussi j’ai trouvé cet enchainement assez fou. Et parfois même un brin capilotracté. (Et c’est un euphémisme.)
Seulement voilà – histoire d’être honnête jusqu’au bout – moi j’ai adoré ça.


J’ai adoré d’abord parce que j’aime les films qui nous sortent du rail pour prendre la peine de nous raconter quelque-chose d’inattendu. J’aime ces films qui m’invitent à une expérience de cinéma unique.
Et puis surtout, j’adore cette audace qui n’est clairement pas gratuite selon moi.
Il y a une cohérence dans la démarche.
Il y a un propos.
Et en plus de ça un propos qui me touche tout particulièrement.


Parce que souvenez-vous de ce par quoi j’ai décidé d’ouvrir cette critique…
Qu’est-ce qui distingue les errances gratuites des véritables prises de risques payantes et pertinentes ?
Pour moi la réponse est toute trouvée.
La distinction se fait sur quelque-chose d’essentiel dans une œuvre : le sens.
Et je prends ici le mot « sens » dans toute sa polysémie.
Ce que le film nous amène à ressentir.
La direction dans laquelle il nous conduit.
La signification qu’il donne à saisir…
Or, sur tous ces points je trouve que « A Ghost Story » - tel qu’il est mené – est un film qui a beaucoup de sens.


D’abord il y a ce sens de l’éphémère. Cette sensation permanente du périssable.
A chaque instant tout ce qui est présent et qui fait le quotidien est présenté comme étant irrémédiablement amené à disparaître.
Un être cher qui passe de vie à trépas.
Un piano qu’on pensait avoir accordé hier mais qui est déjà désaccordé.
Une tarte qui finit par être mangée sous peine de pourrir.
Une maison qui s’use plus vite que prévue.
Des moments qui s’évanouissent au bout de seulement quelques années.
Un corps de petite fille qui pourrit dans les plaines sauvages…
Des choses auxquelles des esprits s’accrochent, mais en oubliant quoi.
… Et surtout en oubliant pourquoi.


Sitôt on se décide de parcourir ce film en suivant le fil de cette sensation qu’une direction soudain se dessine.
Cette direction, c’est celle de la mort inéluctable. De l’effacement absolu.
On a beau laisser derrière soi une tarte ou un piano dans une maison ; un petit mot dans la rainure de poutre ou un dessin sous un rocher : tout est amené à disparaitre. A s’évanouir dans le néant.
Et c’est une fatalité.
On fera ce qu’on voudra pour essayer de lutter contre cela – comme écrire des grandes symphonies que des oreilles extraterrestres entendront peut-être un jour – à la fin ces extraterrestres mourront aussi. L’univers disparaitra. Le petit bout de papier sera retiré de la rainure…
Il ne restera plus aucune trace de notre passage.
Plus rien.


Dire cela pourra paraître vain. Banal. Trivial.
Peu de choses…
Je peux l’entendre.
Mais pour quelqu’un comme moi qui suis assez sensible (et c’est un euphémisme) à la question de la mort et de ce qu’on laisse derrière soi, ce qu’offre ce film n’est pas peu de choses. Il n’est pas vain. Il est juste essentiel (au sens littéral du terme).


Voilà ce que, moi, je trouve de beau dans ce « A Ghost Story ».
Au-delà de la nouveauté et de l’inattendu, il y a eu cette audace à vouloir cerner une essence.
L’essence d’une certaine futilité de toute chose face au temps qui passe.
Et ce que ce film a de pertinent c’est qu’il n’est pas qu’un discours. Il n’est pas qu’une démonstration. Il est aussi et surtout un cheminement vers cette sensation là.
La sensation de la futilité.
Une démarche osée et rare.
…Ce qui en fait pour moi une démarche précieuse.


Alors après, certes, parfois au milieu de tout ça il y a quelques gratuités. Je le conçois.
C’est vrai aussi, certains choix peuvent pousser à une forme d’obscurantisme dont on pourrait regretter le caractère trop affirmé.
Et puis la symbolique, parfois – je le concède également – ça a clairement ses limites.
Ce sont ces petites choses là qui font d’ailleurs que je n’attribue pas la note ultime à ce « A Ghost Story ».
Je ne voudrais pas non plus tromper sur la marchandise ni trop travestir mes sentiments.


Néanmoins il y a pour moi là un véritable travail d’artiste aussi osé que pertinent.
Un film qui dispose d’une marque et que j’ai déjà revu deux fois… Sans me lasser.
Alors oui, « A Ghost Story » n’est peut être pas exempt de tout reproche, mais au moins est-il l’expression d’un regard unique. D’un regard universel.
D’un regard d’artiste.
Et rien que pour ça, moi, j’autorise tous les écarts et un brin de gratuité…

lhomme-grenouille
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le 21 déc. 2017

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