[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]


J'ai aimé A Ghost Story.


J'aime les films (ça vaut aussi pour mes goûts dans d'autres objets culturels/artistiques) qui ont quelque chose de singulier, qui ne ressemblent à aucun autre. C'est souvent le cas de films comme A Ghost Story qui jouent la carte artistique à fond, mais pas seulement. Tout ne m'a pas plu, loin de là, mais j'ai vraiment apprécié de découvrir un univers esthétique nouveau et parfois surprenant.


Artistique, donc ; extrêmement stylisé, même. Format carré (avec de petits coins arrondis), et chaque plan a quelque chose de démonstratif : « regardez, je suis un plan, j'ai été pensé, calculé, scénographié, tout est fait exprès, regardez je vous dis ». Il n'y a pas de demie-mesure dans les mouvements de caméra : les (nombreux) plans fixes sont très fixes, les travellings sont des travellings, les panoramiques des panoramiques. Il y a aussi un florilège d'effets visuels / effets spéciaux (mais sans ordinateurs, des effets comme au bon vieux temps). Un exemple de cette mise en scène démonstrative : au début, un panoramique vertical lent commence sur le ciel et s'approche doucement de la maison du couple, puis on entend un bruit sourd (coup de feu ?) au loin et le panoramique accélère tout à coup. La caméra est intégrée, explicite, et non à la recherche d'un effet de réel.


Tous ces choix de réalisation ne m'ont pas plu. Les plans fixes qui s'éternisent, par exemple, fonctionnent mal sur moi : si rien ne vient les enrichir, au bout d'un moment je m'ennuie et je décroche. Le plan le plus mémorable est sans doute celui où M (Rooney Mara), tout juste endeuillée de son compagnon, prostrée, mange jusqu'à la nausée le gâteau au chocolat laissé sur la table de son salon par la propriétaire. Il y a vraisemblablement une volonté de recherche de performance d'actrice à travers une performance physique dans ce passage, mais qui ne m'impressionne pas (étant moi-même très doué pour avaler des gâteaux), donc à la vingt-cinquième cuillerée, malgré l'empathie, je me dis « bon, et ensuite ? ». Des accrocs dans le scénario aussi, en particulier la présence de cet invité à une soirée joué par Will Oldham, qui tient un long discours vaguement scientifique, vaguement philosophique, long et pas très profond. Ce doit être le personnage qui a les plus longues répliques du film, et c'est dommage que ce soit pour un discours que j'ai l'impression d'avoir entendu mille fois et trouve exaspérant à la longue. (Mais peut-être qu'on peut comprendre que le fantôme est potentiellement lui aussi énervé par la façon dont les vivants parlent de la trace qu'on laisse sur terre.)


Ce qui m'a vraiment touché en revanche, c'est ce personnage de fantôme. L'empathie est finalement plus forte encore pour le fantôme de C (Casey Affleck) que pour M qui vit sans lui, et disparaît d'ailleurs à la moitié du film. Le fantôme (un simple drap blanc avec des yeux noirs, simple et beau, je n'aurais pas cru que l'on puisse faire quelque chose d'aussi visuellement réussi avec juste ça !) est totalement perdu, dans une temporalité qui le dépasse. On adopte son point de vue et le montage permet de créer des sautes dans le temps (à la Orlando ou à la Synecdoche, New York). Ce fantôme est complètement dépassé ; son but se résume rapidement à extraire et lire un bout de papier caché par M sous la peinture avant son départ, et les décennies qui passent ne suffisent pas. J'ai trouvé très émouvante la rencontre avec un autre fantôme, derrière la vitre d'une maison voisine, très émouvante, dans une totale économie de gestes, les dialogues n'apparaissant qu'en sous-titres ; cet autre fantôme aussi est perdu, il attend mais ne sait plus qui. Et la disparition des fantômes m'a donné des frissons. Alors que tout au long de leur existence, l'emphase est mise sur leur immobilité, lorsqu'ils disparaissent (apaisés ou trop dépassés), la rupture est particulièrement violente : le drap s'effondre soudain sur le vide.


Et puis, si on oublie la scène où le fantôme pique une grosse colère et casse tout dans l'appartement devant trois témoins, le récit de l'au-delà inventé par David Lowery a cet avantage qu'on peut imaginer que « ça se passe comme ça en vrai ». On peut se raconter que nos maisons sont pleines de fantômes en draps blancs que nous ne voyons pas, et que nous croisons toute la journée ; que quand nous croyons apercevoir un mouvement et tournons la tête (il me semble que de tels regards furtifs arrivent - volontairement ? - dans le film à quelques personnages), nous croisons sans le savoir les yeux noir d'un spectre placide qui nous observais, placide et seul.

Rometach
10
Écrit par

Créée

le 14 janv. 2018

Critique lue 317 fois

3 j'aime

Rometach

Écrit par

Critique lue 317 fois

3

D'autres avis sur A Ghost Story

A Ghost Story
Velvetman
7

Death Note

Après la vie, l’amour, vient le deuil. Avec l’incroyable A Ghost Story, David Lowery tente de chercher cette petite étincelle d’humanité qui survit après notre mort, à travers la tristesse de...

le 21 déc. 2017

134 j'aime

8

A Ghost Story
Behind_the_Mask
8

Ce qui reste

Un simple drap pour raconter une histoire de fantôme. Comme si nous étions revenus à l'âge de l'enfance. Mais une histoire comme aucune autre. C'est une histoire sur ce qui reste. Comme la lumière...

le 10 janv. 2018

133 j'aime

11

A Ghost Story
Alicia_87
9

Ghost in translation

Présenté en compétition du festival américain de Deauville 2017, « A Ghost story » est un film qui transcende. De portée universelle et cosmique, ce film offre une réflexion poétique sur la vie :...

le 6 sept. 2017

77 j'aime

10

Du même critique

Jusqu'à la garde
Rometach
5

Sensations versus violences conjugales

[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en...

le 13 févr. 2018

33 j'aime

4

Capharnaüm
Rometach
5

Un capharnaüm réussi

[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en...

le 1 juin 2018

21 j'aime

Les Heures sombres
Rometach
5

Who's Winston?

[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en...

le 13 janv. 2018

17 j'aime

2