Film de 2017 mais vu trois fois cette année. Petit bijou expérimental de David Lowery qui cache bien son jeu sous son apparente simplicité et m'a bouleversée. C'est l'histoire d'un fantôme comme dans les dessins d'enfant, avec un long drap blanc et des trous pour les yeux, parce qu'il ne faudrait pas se prendre un mur. Cest l'histoire d'un fantôme qui hante son pavillon de banlieue où sa jeune veuve surmonte sa brutale disparition puis reprend sa vie. Parce que c'est un film à l'envers des films de fantômes : ce n'est pas la présence des absents qui hante les vivants, c'est l'absent qui regarde revivre et partir les vivants dans un temps devenu élastique et métaphysique. La scène cruciale se joue à la morgue quand la jeune épouse (Rooney Mara) vient reconnaître le corps de son amoureux (Casey Affleck). Au lieu de suivre celle qui va devoir réapprendre à vivre, la caméra reste un certain temps immobile sur le corps allongé sous son drap, jusqu'à ce que ce corps se lève et sorte de la morgue, couvert de son drap. Le fantôme rentre chez lui. Sans pouvoir entrer en contact avec la femme qu'il aimait, il assiste au travail de deuil de celle-ci, à son départ, à l'arrivée d'autres, puis d'autres. Le fantôme devient l'habitant et la mémoire des lieux, jusqu'à se perdre dans une boucle d'éternité pour revenir aux origines du lopin de terre où le pavillon fut plus tard construit puis récemment démoli. On est définitivement entré dans le point de vue du fantôme à la temporalité propre. C'est inattendu, anti-dramatique au possible, avec des plans-séquences immobiles de plus de dix minutes qui transcendent l'inertie et l'ennui et prennent au ventre par la densité palpable du temps des morts qu'ils offrent à sentir. C'est d'une incroyable poésie, ce désarroi existentiel d'un fantôme au drap qui se salit et se déchire, qui reste seul à regarder par la fenêtre un autre fantôme voisin au drap fleuri. Des fantômes qui attendent bien qu'ils ne soient plus en mesure d'attendre. Les lieux ont une mémoire infaillible.

Sabine_Kotzu
10
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le 9 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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