DC Comics au cinéma, ce n’est pas seulement Green Lantern, Superman (et/ou) Batman, et j’en passe. C’est aussi A History of Violence que David Cronenberg s’est chargé d’adapter. Le pépère au nom de bière n’est pas ma tasse de thé (je n’ai vraiment pas adhéré à Crash ou Vidéodrome, considérés comme certains de ses chefs-d’œuvre) mais pour ce film, il a vraiment fait fort.

Avant même de décortiquer le contenu du film, je trouve intéressant de s’arrêter sur son titre. A History of Violence. Pas « story » mais bien « History ». Il ne s’agira donc pas d’une petite histoire (même si elle se déroule dans une petite ville) de violence mais d’un film au traitement plus ambitieux. D’une autre manière, ce titre pose la question de savoir s’il peut y avoir une autre histoire possible après celle de violence.

Le film s’ouvre sur un plan-séquence de près de 4 minutes. La scène est très lente, sans musique, et laisse le spectateur dans le doute quant à l’identité des personnages présentés. Ces hommes sont-ils dangereux ? En danger ? Aucun des deux ? La réponse apparaîtra lorsque la musique commence à partir de la rupture : la première image violente. Cette scène introduit donc les deux thèmes principaux du film : la violence et l’identité.

La connexion avec la scène suivante, autre lieu et autres personnages, se fera par le cri d’une petite fille. Famille idéalisée (le papa, la maman et le frère), très liée, autour de la petite tête blonde. Des personnages étonnamment « normaux » pour un film de Cronenberg. Le réalisateur adopte ici une démarche contraire à celle de ces précédents films : d’ordinaire, les personnages centraux de ses films sont marginaux et décalés (Crash, Vidéodrome, La Mouche, etc.) et il tâche de les familiariser avec le public. À l’inverse, dans A History of Violence, ce sont des personnages classiques, normaux, qu’il va entraîner dans un univers qui ne l’est pas, notamment à travers son dernier acte.

Comme je l’ai dit précédemment, la violence est un de deux thèmes du film. En plus d’être dans le titre, elle y apparaît sous diverses formes. Elle est notamment :
• Justifiée : la réaction du personnage principal, Tom (Viggo Mortenssen) face à ses deux agresseurs.
• Physique : il n’y a pas d’explosions ou d’accident de voiture dans ce film. Les actes de violence sont physiques, humains. Ils laissent des dégâts très dérangeants à regarder. Ce qui contraste avec le côté exutoire que peut avoir la violence. Le spectateur est complice de la violence mais aussi du résultat (œil crevé, gorge écrasé, nez enfoncé, etc.). Si on aime la violence, il faut en accepter les conséquences. Ce que bon nombre de films évitent souvent soigneusement de faire avec des combats au corps-à-corps édulcorés ou des fusillades qui s’enchaînent. C’est également pathologique des derniers blockbusters en date (cf. les scènes de destructions à grandes échelles des récents Transformers 3, The Avengers ou Man of Steel où les pertes humaines sont de l’ordre de la statistique. Ou encore les combats à l’arme blanche vs griffes en adamantium du récent Wolverine: le combat de l’immortel qui tachent et tranchent peu.).
• Réaliste : la violence n’est pas esthétisée, elle s’inscrit bien dans une forme de réalisme. Il n’y a pas de ralenti ou une quelconque mise en valeur visuelle. Le réalisateur s’est d’ailleurs inspiré de DVD de self-défense pour construire et filmer des combats réalistes.
• Psychologique : lorsque la voiture de la mafia guette devant la maison des Stall le soir ou devant le café de Tom avant l’ouverture. Ou lorsque Fogarty (Ed Harris) suit la femme de Tom, Eddie (Maria Bello) lorsqu’elle fait ses courses au supermarché. Lors de sa première apparition, ce même Fogarty instaure une déstabilisante pression psychologique sur Tom pour qu’il se dévoile comme étant un certain Joey et en l’appelant constamment par ce prénom.
• Hiérarchisée : quand le jeune caïd du lycée, Bobby, et son pote se prennent pour les durs à cuire de la ville et croisent la route de vrais truands. À ce moment-là, Bobby comprend à leurs regards à quel genre de types il a affaire et trace sa route en mettant sa fierté de côté. On retrouve également une hiérarchie dans le rapport à la violence qu’a le personnage de Jack, le fils de Tom. Au début du film, il évite sagement le recours à la violence par des pirouettes verbales. Mais il subira par la suite une contamination de la violence et ira jusqu’à commettre l’irréparable…
• Sexuelle : lors de la scène entre Tom et Eddie dans les escaliers, presque aussi brutale qu’un viol. Elle contraste d’ailleurs fortement avec la première scène de sexe, plus légère mais également intense. À ce propos, A History of Violence est le premier film d’un studio américain à montrer un soixante-neuf. Un tabou brisé dont le réalisateur canadien est très fier.

Le film traite donc de la violence sous diverses formes mais ce n’est pas tout. L’autre thème majeur du film est clairement celui de l’identité et il est développé de manière passionnante. Difficile d’en parler sans spoiler le film.

SPOILER
Le film soulève des questions fascinantes comme par exemple savoir si est possible de se défaire entièrement de sa personnalité ou se créer un nouveau « soi ». La plupart des films de mafia se termine par la mort du personnage principal ou par une protection de témoin. A History of Violence répond aux questions « et 20 ans après ? Que se passe-t-il lorsque ce passé ressurgit et me rattrape ? Comment réagir ? Qui suis-je ? »
FIN DE SPOILER

Il est question de l’identité dans l’élaboration même du film, entre l’acteur et son personnage. Afin de le construire en profondeur et s’en imprégner, Viggo Mortenssen s’est improvisé chef décorateur et a acheté de nombreux objets (poster, tirelire, etc.) qui ont servi à habiller les décors du restaurant ou de la maison Stall. L’acteur livre une prestation subtile de son personnage.

SPOILER
Les expressions faciales changent légèrement, qu’il s’agisse de Tom Stall ou de Joey Cusack. Par exemple, après être rentré chez lui en panique, croyant que Fogarty allait attaquer sa famille et qu’il parle à Jack, son fils, on voit bien le visage de Tom, rassurant et gentil envers sa progéniture, qui laisse place à Joey sur le dernier plan, plus dur et ferme, lorsqu’il arme le fusil. Joey est prêt à prendre le dessus sur Tom si nécessaire pour protéger sa famille. Ce qu’il fera peu de temps après, lorsque Fogarty et ses sbires détiennent son fils. Lorsqu’il s’avance vers eux, sa démarche et l’expression sur son visage ne sont plus les mêmes. Le regard qu’il échange avec Fogarty est lourd de sens. Joey Cusack ne joue plus à être Tom Stall : il est de retour. Jack jette alors un regard à son père, se demandant qui il est vraiment et il aura la réponse quelques instants plus tard. Lorsque les masques tombent, Joey perd pied. Il ne sait plus quelle est sa place dans cette famille. Son fils réalise qu’il ne sait pas qui est son père, qu’il ne sait rien de son passé et de quoi il est capable. On sent le doute intérieur qui ronge Tom lorsque Sam, le sheriff, vient l’interroger sur ce qui se passe. On voit qu’il se demande s’il n’est pas préférable/inévitable de dévoiler sa véritable identité sachant que Sam se doute de ce qui se trame. La gifle que donnera Eddie à Tom dans la scène suivante, juste avant la fameuse scène des escaliers, fait ressortir Joey. En plus de l’habiter, la violence réveille Joey.
FIN DE SPOILER

Quelques légères touches d’humour parsèment le film et l’allègent quelque peu sans pour autant nuire ou décrédibiliser le propos. Par exemple, dans la scène où Tom engueule son fils suite au fait qu’il ait tabassé Bobby « Dans cette famille, on ne règle pas les problèmes en cognant les gens ! » « Nan dans cette famille on les tue ! ». Ou encore lorsque Fogarty dans la galerie marchande balance d’un air amusé « N’oubliez pas vos chaussure Madame Stall… »

J’ai remarqué que le film disséminait des symboles chrétiens. Bon, je ne sais pas quoi en faire ou comment les interpréter mais tous ces symboles sont bien là: que ce soit la croix autour du cou de Tom, le fratricide qui renvoie à Caïn tuant son frère Abel, la purification de ce péché par l’eau qui s’en suit et enfin, la scène de repas finale qui renvoie à la cène. Cette séquence finale est d’ailleurs très poignante et extrêmement chargée émotionnellement. La tristesse, l’espoir, le désespoir et d’autres sentiments s’y bousculent et passent par les non-dits et les regards. Mais tout est compréhensible, juste et fort.

Howard Shore, qui a pratiquement toujours écrit la musique de Cronenberg (14 films durant 33 ans), compose ici un thème avec des sonorités patriotiques de grands films américains. Sa partition nous plonge également dans une ambiance de western. Un genre qui n’est pas anodin au vu de la confrontation finale. Ou bien dans le plan où Tom, armé d’un fusil, et sa femme sont sur le perron de leur propriétés face à Fogarty et ses sbires (il ne manquerait plus qu’ils soient à cheval). Mais entre temps, Howard Shore est passé par l’univers du Seigneur des Anneaux. Et cela s’en ressent. Plusieurs fois, sa musique revoie à La Comté ou au Mordor, ce qui est un peu déstabilisant.

Je vais conclure avec une anecdote. Parce que c’est sympa les anecdotes. La scène vers la fin dans laquelle le personnage de Viggo Mortenssen entre dans un bar à Philadelphia a été tournée dans le même bar du film La Mouche où Jeff Goldblum fait un bras de fer mémorable, 20 ans plus tôt. Voilà, c’était mon anecdote.

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le 25 juil. 2013

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