Quelques dizaines d’arrêt de métro parcourus pour voir le nouveau film de Jérôme Lescure. Pas grand-chose en réalité pour voir un film d’une telle richesse. Je m’attendais à être secoué. Je l’ai été mais pas de la manière à laquelle je m’attendais l’être, cependant. Le réalisateur part de vies humaines ravagées pour parler de la souffrance animal. Il n'y a pas tant d'images choquantes que de propos heurtant et faisant prendre conscience de la ruine apporté sans scrupule et sans remise en question dans la vie d'êtres vivants. Le monologue d'Alexandre Laigner "On ne peut pas pleurer sur le sort de tout les animaux n'est ce pas?"
[...] est bouleversant, ni plus, ni moins! Et puis on est justement invité à réfléchir sur cette limite posée arbitrairement entre les deux, jamais remise en question.
Ces lettres que Frank (Alexandre Laigner) grave dans son désespoir sur le mur de sa cellule de garde à vue. Son combat qu’il nous communique, visage, corps et âme pendant une heure et demi.
J’ai été très agréablement surpris par la qualité du film. Par son déroulement, ses choix, et encore plus par ses dialogues d’une formidable profondeur intense et sincère, par le traitement psychologique accordé à chacun de ses personnages aussi. Jérôme Lescure fait preuve d’intelligence en prenant le parti d’expliquer la cause animale au spectateur en lui montrant paradoxalement des vies humaines et procédant ainsi à une forme de déconstruction presque derridienne. Impossible de ne pas ici évoquer L’animal que donc je suis de Derrida, les messages se rejoignent à propos de la question de la domination jamais remise en question sur la base de la limite homme/animal instaurée.

J’ai dû regarder l'heure deux ou trois fois, non par ennui mais parce que je souffrais d'assister à l’échec attendu d’une lutte qui n’intéresse pas grand monde, refuser de saisir la profondeur de l’enlisement de ces existences qui sont toujours destitués par la doxa pour laquelle il n’est censé que de les faire passer au second plan, comme le rappelle l’officier de police –homme blessé et suicidaire, qui n’a pas su voir l’élévation potentielle dans des vies autres que celle de sa femme défunte. « Je vous plains sincèrement » lui dit Franck (avec sincérité au demeurant).
Son monologue final, si vrai, fait donc fondre par le panel de sentiments qu’il déclenche : rage, tristesse, dégoût, honte peut-être de la même nature que celle que ressent Derrida, nu devant son chat, une honte d'avoir honte. Oui, honte d’être une espèce avec si peu de scrupules pour ce qui lui est extérieur. Quelque chose de plus archaÏque.Au-delà de la lutte et qui l'englobe dans le même temps.

Fin doublement tragique, ici le groupe A.L .F n’a pas été entendu, et cet aspect tragique est relayé par la distribution –si faible- du film lui-même projeté seulement dans une poignée de salles.

Un film bien loin d'être construit sur des poncifs donc, mais bien plutôt un modèle à suivre.

Le monologue que j'évoquais a fait écho à ceci en moi :

"Personne ne peut plus nier sérieusement et longtemps que l'homme fait tout ce qu'ils peuvent pour dissimuler ou se dissimuler cette cruauté, pour organiser à l'échelle mondiale l'oubli ou la méconnaissance de cette violence que certains pourraient comparer aux pires génocides, car il y aussi des génocides d'animaux : le nombre de disparitions du fait de l'homme est à couper le souffle." Jacques Derrida, L'animal que donc je suis.
Zarathoustra93
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le 6 déc. 2012

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le 6 déc. 2012

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