Qui dit film à sketch, ou à saynètes, ou différentes parties aussi clairement définies que celles que le film propose, dit critique de ces 4 sketch indépendamment puis celle de la cohérence de l’ensemble.


La première partie est surement la meilleure. Les enjeux sont clairs et nets, la violence finale explose avec justice et jubilation et est justifiée par une intrigue simple, aux enjeux sociaux limpides. L’acteur principal porte à lui seul cette histoire de vengeance aussi froide qu’à prendre au second degré, cette dénonciation virulente d’une société gangrenée par la corruption mise en scène avec style et effets stylistiques et symboliques osés. 
La seconde partie est bien moins éloquente et sans réelle objet ; elle semble dénoncer, d’une manière bizarre, la violence d’une génération vouée à l’ennui qu’elle tente de combler par une violence brutale et sans objet. Cela sombre dans une certaine équivocité dont on ne comprend pas vraiment l’intérêt…
La troisième partie talonne de près la première, tant dans la limpidité de son scénario (une femme amoureuse d’un homme marié à qui, à la suite d’injustices répétées, poussent des ailes rédemptrices) que dans l’efficience et la clarté de sa mise en scène. On frise à certains moments, et non sans humour, le film de justicier, presque de super-héros, auquel le réalisateur s’amuse à administrer un traitement presque ironique en transformant son héroïne en justicière traditionnelle armée d’un sabre vengeur. Aux élans épiques de vengeance s’ajoutent donc les relents de tradition chinoise.
Enfin la quatrième semble presque hors-propos, car totalement déconnectée du reste. On est plus là dans une violence adulte et calculée, vengeresse et froide, mais dans un violence psychologique alliée à une naïveté presque enfantine. Les enjeux ne se perçoivent plus très bien : si l’histoire d’amour adolescente est touchante dans son paradoxe (une jeune prostituée et jeune homme que rien ne prédestinait à tomber amoureux), la réflexion portée sur une jeunesse perdue, à la dérive n’est pas très pertinente et se conclut trop brutalement pour prendre totale ampleur…
Face à l’articulation inexistante entre ces quatre personnages et intrigue qui les entourent on ne peut être que dérouté. Quel est le lien sous-entendu et immanent qui les relie ? Quel est le message de fond ? Après les 2 heures 20 du film on ne sait trop quoi penser et l’on ne voit toujours pas où le film voulait nous mener, quelle était l’idée générale… Le seul lien reliant ses intrigues (bien loin d’un Babel qu’un final reliait), outre les quelques parallèles symboliques sur lesquels on s’attardera par la suite, semble être ce mouvement unanime, et plus globalement humain, de violence par réflexe et de soif de justice qui traverse la Chine entière. Jia Zhang-Ke ne délaisse aucune région de son pays et propose un véritable voyage magnifiquement filmé, d’une violence insidieuse froide et politique au traitement sonore exemplaire qui prend littéralement la tête. Rarement on sera sorti de la salle de cinéma avec en tête des sonorités si entêtantes mêlées dans un bordel bouillonnant entre bruitages entêtants et musiques traditionnelles. Il faudrait s’appesantir plus longtemps sur ce film brillant et très intéressant et osé par moment mais dont la totalité et l’articulation entre les histoires est bizarre, sans continuité et sibylline.

Mais je proposerai ici, en guise de conclusion, une piste d’analyse qui me semble probante. Toutes les histoires contiennent des scènes de violence animale que je mettrai facilement en lien avec les personnages. De cette oie égorgée vive à ces vaches amenées, dans la remorque d’un camion, à leur mort et l’attendant sagement, les animaux semblent métaphores de ces personnages qui, malgré leurs différences, se retrouvent dans leur volonté de se libérer par la violence vengeresse.
Je vois dans cette oie égorgée le symbole du futur sombre auquel le jeune homme de la seconde histoire se livre en se soumettant à des actes de violence aussi gratuits, je vois dans ce poisson relâché dans un cours d’eau métaphore de la libération par la mort à laquelle l’adolescent de la quatrième partie se livrera, par désespoir. Je vois enfin, dans l’acte Nietzschéen du premier personnage du film, qui abat froidement un fermier qui fouettait par plaisir un mulet têtu, libérant ainsi l’animal de son joug, la trame-guide du film entier : le vent de la violence qui, dans ses dérivations et manifestations différentes, mène à un destin tragique ou à la justice.

Créée

le 27 févr. 2016

Critique lue 305 fois

Charles Dubois

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