Le fait que l'adaptation taïwanienne signée King Hu de La Fille Héroïque, l'un des contes du Liaozhai Zhiyi (ou Contes Extraordinaires du Pavillon du Loisir), recueil d'histoires surnaturelles rédigé par Pu Songling au XVIIème siècle, soit un putain de bon film, tient en grande partie à son esthétique et à sa philosophie.
Ses personnages sont totalement immergés et mis en relation dans des décors brumeux où prédomine Mère Nature : forêt de bambous, forteresse abandonnée où les herbes et les roseaux reprennent leurs droits, et rivière éclairée par un soleil radieux, sur les bords de laquelle les grillons chantent quand s'en vient la nuit seront autant de lieux paisibles qui parsèmeront le film, dont la splendeur raffinée et la texture de l'image seront accrues par le grain de la pellicule.


La réalisation très picturale de Hu (je te jure, poto, y a des tonnes de plans dans ce films qui pourraient très bien être des tableaux, genre celui-là ou celui-là), avec ses plans fixes et ses travellings fluides, fait bien évidemment écho à des siècles d'estampes chinoises et de calligraphie, arts chers à King Hu, qui en a d'ailleurs pratiqué, et veut par cette imagerie parler de la culture chinoise.


Cette beauté, elle se veut également porteuse de la philosophie du réalisateur de l'Hirondelle d'Or (1966), qui n'est pas le zen japonais, contrairement à ce que le titre laisse entendre, mais le Chàn, forme de bouddhisme très populaire en Chine depuis plus d'un millénaire, et prônant un accès à l'éveil spirituel le plus simple et efficace possible. Il s'offre même des expérimentations très ingénieuses, en utilisant la technique du split-screen pour montrer la propagation d'une rumeur, ou en mettant les couleurs en négatif lors d'une hallucination, histoire de bien montrer la confusion du bonhomme. Forcément, le film est donc très contemplatif, en conséquence de quoi il dure 3 heures, mais c'est comme avec les Sept Samouraïs, copain lecteur, on les voit pas passer, malgré quelques longueurs dans le dernier segment.


Simple et efficace, le film l'est aussi dans son histoire : celle d'un calligraphe (sa profession n'a pas été choisie au hasard, crois-moi)) au caractère sympathique vivant avec sa mère dans un bled paumé, qui devra aider une artiste martiale qui ne se laisse pas faire et quelques copaings à lutter contre les sbires obéissant aveuglément à un gouvernement corrompu et autoritaire. La quasi-totalité des éléments cités dans ce papier sont à planter au marteau dans la mémoire, puisque les films d'arts martiaux de l'époque étaient surtout réalisés pour le pur divertissement, et que Hu voulait produire une réponse à la Révolution Culturelle, qui faisait rage à l'époque dans la Chine maoïste.


Les combats bien fichus (bien que n'ayant pas la maestria qu'atteindront plus tard La Dernière Chevalerie (1979), de John Woo, ou Zu, les Guerriers de la Montagne Magique (1983) de Tsui Hark) deviennent également le théâtre d'un combat intérieur entre la paix et la violence, comme le montre par exemple cette scène où le calligraphe, après avoir attiré un grand nombre d'agents de l'empire dans une forteresse abandonnée et les avoir tués à grands coups de stratagèmes ingénieux, sera horrifié par son acte meurtrier.


Face à ce monde de violence, le film posera la spiritualité comme solution, incarnée par ce moine bouddhiste dont les blessures laissent couler de l'or au lieu de sang, qui revit au soleil, qui revit au soleil et aidera les héros. Ce n'est pas pour rien si Hu a choisi de faire ici dans le Wu Xia Pian, genre certes très codifié, mais laissant une bonne place à la magie et à la fantasmagorie, et donc au mysticisme, tout comme le coup de pinceau d'un calligraphe ou l'estampe d'un expert en arts... picturaux.


Note : 8,5.

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le 8 janv. 2020

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