Texte originellement publié sur Filmosphere le 01/06/2016.
http://www.filmosphere.com/movies/a-war-tobias-lindholm-2015


Les théâtres d’opérations contemporains, s’enlisant lentement pour des résultats incertains, agissent, sans surprise, comme un effet de boomerang. On s’interroge non seulement sur la légitimité du conflit, mais plus encore, sur ses répercussions, sur ce qu’il génère dans la société moderne une fois de retour au pays. L’absurdité de la guerre n’est plus celle des empires qui s’affrontent sur d’immenses champs de bataille, mais celle des combats contre un ennemi invisible, insondable, interminable.


Après Ni le ciel, ni la terre, Maryland ou encore récemment Voir du pays, c’est A War qui vient réfléchir sur la perspective du trauma qu’est l’occupation de l’Afghanistan par des forces non-américaines. En suivant le parcours journalier de soldats danois déployés dans la province du pays, Tobias Lindholm renouvelle son intérêt pour le déséquilibre mondial après Hijacking. Ni une, ni deux : ce quotidien est le synonyme de l’éternelle loterie de la mort, conséquence de cet opposant invisible. Ici, un soldat, presque un gamin, saute sur une mine antipersonnel. La jambe arrachée, il meurt. Pas de “tangos” à l’horizon sur lesquels déchaîner une éventuelle colère. Le lendemain, il faut continuer les patrouilles dans le secteur, immense, inmaîtrisable. Cette inadaptation au terrain en question, contrôlé par des guerriers millénaires, est d’ailleurs une question au centre des films pré-cités : explicitement dans Ni le ciel, ni la terre, et sa rencontre soudaine avec les Talibans ; virtuellement dans Voir du pays et le choc de son embuscade dans les montages enneigées. La guerre moderne se casse toujours les dents sur le tombeau des empires.


A War a dans un premier temps une construction scénaristique classique, alternant les missions de l’escadre de soldats danois avec des séquences au pays, liées grâce aux appels par téléphone satellite. D’American Sniper à 13 Hours, la présence du cadre familial semble indivisible de la conception du soldat moderne, là où autrefois elle était plus en retrait, éventuellement dans quelque correspondance épistolaire ou sur une poignée de photographies soigneusement conservées. Au fur et à mesure de son développement, le soldat s’est apparenté à un métier comme un autre, d’autant qu’il n’est plus toujours question de combat, mais aussi d’aide, de reconstruction, de communication. C’est cependant tout son paradoxe lorsqu’il est confronté à sa tâche primaire et primale dans le feu de l’action. C’est ce qu’A War explore dans un dernier tiers de cour martiale, centrée sur la responsabilité et les exactions commises au sein d’une guerre moderne. Là, encore, il s’agit d’une conséquence de cet ennemi invisible face à l’inaptitude du soldat moderne, désarçonné, qui agît comme il aurait agît autrefois dans n’importe quel autre conflit : en faisant tirer dans le tas.


Dans pareille situation, il n’y a aucune possibilité de dénouement idéologique “moral”. L’exaction en elle-même est amorale, mais fruit d’un fait amoral qu’est la guerre. La responsabilité est déchargée sur le fautif direct comme excuse pour que la coalition des États engagés n’ait pas à la porter. Tobias Lindholm insiste cependant lourdement sur le poids moral à subir, sans trancher véritablement sur son sujet, complexe, à contrario de ce qu’a fait autrefois William Friedkin (et de manière plutôt discutable, politiquement parlant) dans L’Enfer du devoir. C’est aussi peut-être la limite du film danois, politiquement moins engagé qu’on ne pourrait le penser car avant tout centré sur l’homme en lui-même et sur le risque de dislocation d’une simple cellule familiale. Cet élan naïvement humaniste a éventuellement une tournure sous-exploitée dans le récit, aussi bien sur cette dernière partie que plus tôt, lorsqu’il est question de refuser l’abri à une famille d’afghans menacée.


A bien des égards, A War enfonce aussi des portes ouvertes. Cependant, c’est son point de vue, celui d’un autre intervenant européen donc, qui lui donne une certaine profondeur sur les conséquences d’un conflit partagé par des nations habituellement éloignées de l’imagerie militaire contemporaine. Loin de ses compatriotes, davantage versés dans un regard esthétique, Lindholm s’intéresse, caméra à l’épaule, non sans froideur, au réel de la situation. Là est tout le décalage. Ceci dit, violences physiques et morales demeurent les mêmes : celles qui impactent une société extérieurement et intérieurement. Quelque chose de pourri au royaume de quoi, déjà… ?

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le 29 sept. 2016

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Lt Schaffer

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