Pour son dernier film, À bras ouverts, Philippe de Chauveron reprend la recette de choc des cultures de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, mais ne parvient qu’à flirter avec de nombreux clichés racistes.


En dépit de la polémique qui a précédé le film, liée aux clichés probablement honteux qu’il est susceptible de véhiculer, on est allé voir À BRAS OUVERTS, le nouveau film de Philippe de Chauveron (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?). Comme souvent, en essayant de rester sans a priori, et espérant ne pas être à l’abri d’une bonne surprise. Sans aller jusque-là, il faut admettre des qualités à À BRAS OUVERTS. Mais celles-ci se retrouvent au final masquée par de nombreux défauts. Parfois politiquement incorrect, il joue pourtant assez habilement sur le fil du rasoir, sans franchir la ligne rouge de la méchanceté.


À BRAS OUVERTS se moque des Roms et de leurs supposées habitudes. Pour cela, Ary Abittan n’a pas lésiné sur la panoplie de la représentation de son personnage : les vêtements, les chicots, l’absence d’éducation, la violence et les valeurs archaïques. C’est parfois drôle, surtout en raison de la façon assez naïve dont le couple Fougerole, poussé dans ses retranchements intellectuels, accepte par altruisme forcé ce qu’imposent le peu tendre Babik et sa famille. Mais le problème ici, c’est la répétition à outrance des mêmes gags pendant tout le film, qui tourne vite en rond. De même que les dialogues – du type « je ne supporte pas l’injustice », « ma vie c’est l’engagement » « il est important d’être généreux » et le fameux « je n’ai rien contre les Roms » -, comme si les scénaristes avaient voulu s’assurer régulièrement et prudemment que le public en comprenne bien l’esprit bon enfant.


Ce qui est généralement intéressant dans un film, c’est la trajectoire du ou des personnages, leur évolution grâce à l’intrigue et la transformation de leurs consciences. Ce qui interpelle, quels qu’en soit le sujet et le traitement, c’est la capacité de chacun à se remettre en question, à douter de ses certitudes grâce à une rencontre qui est censée balayer les préjugés, surtout dans une confrontation. L’opposition diamétrale des personnages et le choc culturel provoqué, surtout s’il n’est pas choisi mais imposé, est un grand classique. Intouchables de Eric Toledano et Olivier Nakache est l’exemple parfait que chacun peut apprendre de l’autre sans le juger, quand Le Grand Partage de Alexandra Leclère, dans la même veine que À BRAS OUVERTS l’est un peu moins.


Dans A BRAS OUVERTS, quelques modifications se produisent en effet. Le personnage de Jean-Etienne Fougerole est librement inspiré de ces écrivains philosophes de gauche et engagés pour les grandes causes. Il est présenté comme l’un de ces grands bourgeois donneurs de leçons et dont il est parfois difficile d’envisager la sincérité envers les “sans-dents“. Tout en se moquant finement de cette catégorie sociale, le film pose très bien les questions fondamentales liées à ce que traverse le personnage : comment mettre en accord et en pratique l’idée humaniste de la générosité et du partage avec l’argent et le luxe dans lequel on évolue ? Un intellectuel de gauche a-t-il le droit d’être riche et en même temps de défendre les pauvres et les populations exclues ? Comment faire coïncider ses discours et ses actes ? Mais plus que de transformer réellement le personnage, À BRAS OUVERTS parvient à reconnecter le “Jean-Etienne parvenu” au “Jean-Etienne engagé sur le terrain et fougueux” qu’il était. En quelque sorte, cette rencontre avec Babik le ramène à son combat originel et ses bras ouverts lui permettent d’ouvrir à nouveau son regard.


C’est un peu plus compliqué de croire au retour aux sources et à l’esprit bohème pasionaria de son épouse héritière Daphné (Elsa Zylberstein), devenue artiste. Car le personnage central du film, c’est encore et toujours le personnage de Christian Clavier, comme dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? Son l’épouse lui sert de faire-valoir et de miroir à ses interrogations comme le faisait aussi Chantal Lauby. La ficelle est la même, et la sortie de leurs carcans alliée au pétage de plombs des deux femmes face à la difficulté de la situation est somme toutes assez similaire. Quand l’une se réfugie dans la dépression et la zumba, l’autre s’éveille à une sexualité refoulée par le temps, les usages, l’embourgeoisement de son couple plus intéressé par les apparences que la sincérité.


Le problème c’est que Daphné choisit mal son possible amant, Berruto, qui se fait passer pour un faux Rom ! Hélas, hélas, ce qui se voulait sûrement une habileté de l’intrigue (qu’on avait aussi vue dans Le Grand Partage avec un faux SDF), permettant aux scénaristes de se dédouaner d’une éventuelle mauvaise conscience, tombe à l’eau. La mauvaise foi et l’opportunisme du personnage n’apportent rien, si ce n’est un certain malaise tant l’acteur qui l’incarne (Cyril Lecomte) sonne faux. Sans doute que dans l’esprit des scénaristes, l’apparition de ce personnage fourbe à l’accent marseillais avait-elle pour objectif de fournir un élément comparatif à Babik, montrant qu’il y a toujours “pire” qu’un Rom ? C’est franchement raté, parce qu’aucune séquence dans laquelle Berruto apparaît ne fait rire.


Mais là où le bas blesse vraiment, c’est que À BRAS OUVERTS ne propose aucun changement à Babik. Suggérant l’idée qu’il n’a pour seule ambition que de se servir et se gaver, tout en lavant son honneur de père, et qu’il n’a aucune volonté d’intégration. Le film sous-entend même que son intelligence est tellement limitée qu’elle ne lui permettra jamais d’évoluer ni intellectuellement, ni culturellement, ni socialement.Présenté comme un sale type macho sans âme et avide d’argent, il ne suscite d’ailleurs jamais l’empathie. Personne ne prend la peine de l’aider à comprendre qu’il peut exister une autre solution que la violence verbale et physique, dont il fait preuve notamment envers son frère handicapé. Personne ne l’aide à remettre en question ses idées ancestrales sur la virginité avant le mariage de sa fille, ou ses menaces de mort envers son entourage. Personne ne l’aide à sortir grandi et différent de cette histoire. On le laisse donc dans son trou, plus riche, mais ignare… À BRAS OUVERTS, et notamment sa fin, aussi convenue qu’inconvenante, véhicule alors précisément les clichés négatifs et racistes qu’on pouvait craindre.


Par Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

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le 1 avr. 2017

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