Malick à nu.

Un petit point sur Malick tout de même avant de s'atteler à ce dernier film. Alors, Terrence Malick est un cinéaste biface dont la métaphysique de comptoir et la pseudo-philosophie ont toujours été les dangereux penchants.
Dangereux certes mais certainement pas indignes d'intérêt et totalement accessoires dans sa filmographie, j'y reviendrai.

Chez Malick, il ne faut pas tant (voire pas du tout) voir le côté grand penseur que le côté grand filmeur, grand cinéaste de la forme, qui est à la fois le fondement, la substance et la légitimité de son cinéma.

Alors certes, au vu de l'ensemble de sa filmographie, Malick compose toujours (ou tente de composer) avec ce premier aspect : voix-off qui débite des grandes phrases assez vides de sens, références tarkovskiennes qui pleuvent, grandes élégies prétendues de l'Humanité, tentative d'accès à la Vérité intérieure, scénarios universalistes et j'en passe.
Pour faire très simple, ça n'a strictement aucun intérêt la plupart du temps et quiconque ose encore voir chez le bonhomme un quelconque tempérament de philosophe éclairé est, à mon humble avis, dans l'erreur.

Malick, c'est un cinéaste que j'aime mais dont je ne suis pas particulièrement fan des premiers films, qui me paraissent à plusieurs égards manquer d'identité et de chaire, associé fréquemment à un lyrisme pataud qui, chez moi en tous cas, ne prend guère.

Mais le bonhomme a surtout signé Tree of Life, il y a deux ans, un film encore une fois sans réel enjeu métaphysique intéressant (malgré toutes les apparences qu'il veut bien se donner) mais qui marquait une ouverture du cinéaste à une dimension plus expérimentale, un formalisme original et intéressant et dont le montage, totalement adapté à des images de toute beauté et à un sujet comme le sien, donnait une sensibilité et une force tout simplement démentes. En tous cas, c'est un film que j'adore, malgré ses faiblesses.

Malick commençait déjà à réduire les ponts les plus impersonnels de ses précédents films, un de taille surtout : le scénario, la narration, ou en tous cas le contexte, pour se consacrer à la dimension la plus formelle (de loin la plus intéressante) de son cinéma.

En fait, il faut voir To the wonder comme le prolongement radical d'un Tree of Life : Terrence y reprend ce montage aux allures expérimentales, sa chorégraphie des espaces et des mouvements mais évite soigneusement la redite : le film sort deux ans après Tree of Life et va encore plus loin dans le formalisme que ce dernier : il réduit la narration à peau de chagrin (une clichetonneuse histoire d'amour entre l'endive Ben Affleck et Olga Kurylenko (pas géniale d'ailleurs)) et ne cherche (et c'est là sa différence avec Tree of Life) ni le grand sujet, ni les grandes images (beaucoup moins en tous cas). Malick filme en effet tout de la même façon : on reprend le montage de Tree of Life en plus saccadé et on place la caméra de manière plus aléatoire, en prenant soin d'appliquer cette formule aussi bien à un supermarché qu'à un coucher de soleil.

On a le droit de trouver ça incroyablement vain et publicitaire mais on a aussi le droit de penser que To the wonder est un peu le Nostalghia de Malick : le plus audacieux, le plus courageux, le plus jusqu'au-boutiste de ses films mais aussi également le plus schématique. Le cinéaste américain écarte si bien tous les restes de conventionalité d'un Tree of Life, que le film dépouillé de toute impersonnalité ne ressemble qu'à un film de Malick, et rien d'autre.

Ce dépouillement, c'est précisément ce qui a fait hurler à nombre de fanboys déçus que Malick s'autoparodiait.

Qu'ils se détrompent, c'est simplement que le cinéaste veut retrouver une certaine forme de pureté, une pureté qui ne peut passer que par une épuration.

Reste donc finalement et quasi-exclusivement la formule Malick (en tous cas, depuis le Nouveau Monde) : des plans (souvent séquences) courts liés par un montage saccadé, associés à une luminosité prononcée (contrejours, fascination pour le soleil, nombreuses contreplongées) et une tendance à filmer l'homme dans la nature (façon Tarko). Et finalement les eléments d'extranéité comme la voix-off ou la musique servent moins d'ouverture spirituelle que d'instruments de mise en scène déguisés : la voix-off solennelle comme berceuse et en harmonie avec la grande beauté des images, la musique en adéquation avec les plans ou pour leur apporter une dimension supplémentaire (une ambiguïté).

En fait, juger To the wonder, c'est plus ou moins faire le procès de la formule Malick, période expé. Donc, laissons de côté l'aspect pseudo-spirituel, puisque ce n'est pas ce qui est intéressant chez lui.

Malick, surtout dans To the Wonder, c'est d'abord une rage de filmer, une rage de produire de la Beauté par les images et surtout par les liaisons, le montage y a un rôle fondamental, essentiel : il introduit toujours le spectateur in medias res, directement dans le mouvement du plan. Cette approche mekassienne (capturer par le montage) rapproche encore le film de la pure expérimentation formelle : comme vu plus haut, To the Wonder marque sa différence avec son prédécesseur par un cadrage baroque et une manière plus aléatoire de filmer, de laquelle, et c'est là tout le prodige du dernier opus malickien, ressort parfois une certaine pureté.

Le cinéma de Malick est un cinéma iconique, qui prend ses personnages moins pour ce qu'ils sont intérieurement que pour ce qu'ils représentent et To the Wonder marque encore une rupture en ce que Terrence installe une chorégraphie des corps tout à fait singulière, plus forcée que dans Tree of Life : multiplication des bras tendus, des danses et des mouvements, nudité prononcée des corps féminins toujours dans une recherche de beauté et d'harmonie formelle.
La forme chez Malick n'est toutefois pas exempte de défauts et peut tout à la fois apparaître évocatrice et magnifique comme pompière et artificielle.

Et To the Wonder, en ce qu'il fait ressortir en puissance la formule malickienne en réduisant narration, idées et scénario à peau de chagrin, met aussi bien en avant ses forces que ses faiblesses : le beau versant iconique et évocateur qui ne marche jamais aussi bien que quand Malick explore des problématiques jusqu'alors inconnues de son cinéma (la nudité, captée avec décence et érotisme) et le côté pompeux et artificiel, voire publicitaire, quand Malick répète le même plan en se contentant de varier les angles.

Malick mis à nu donc, pour le meilleur et pour le pire.
Nwazayte
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le 10 mars 2013

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