"L'infini mis à la portée des caniches"

Le Nouveau monde se terminait par la jeune Pocahontas, enfermée dans un monde qui n’est pas le sien, mais sauvée par son amour pour son fils, cet amour qui libère car il élève les humains.
Tree of life est entièrement baigné par la lumière divine, émanation d’un dieu qui tient, par là, à nous rappeler son amour pour la création.
To the wonder s’inscrit dans la continuité logique : Malick fait ici un film sur l’amour.
Si je devais résumer To the wonder en une phrase, je dirais : l’amour humain n’est qu’un pâle reflet, terriblement imparfait, de l’amour divin, mais malgré ses imperfections et ses limites, il permet de s’élever vers une réalité supérieure.


Le film s’ouvre sur une femme heureuse, car amoureuse.
Comme il l’avait déjà fait auparavant, Malick sait merveilleusement bien filmer ces moments tendres sensuels et intimes. C’est peut-être même là qu’il est le meilleur : les caresses de John Smith et Pocahontas, les flashbacks avec Miranda Otto dans La Ligne rouge… C’est dans cette lignée que se placent une bonne partie des scènes de To the wonder. Des plans sur une Marina qui respire le bonheur. Et Marina, quand elle est heureuse, elle danse (j’ai l’impression que la chorégraphie est quelque chose d’important chez Malick : la façon qu’il a de filmer des corps en mouvement, de capter ces mouvements, de coordonner les mouvements des corps, ceux de sa caméra et, souvent, ceux de la musique, est assez significative à mes yeux ; en tout cas, To the wonder est un film que l’on pourrait qualifier de chorégraphique). Ces danses, c’est le corps qui s’élève, comme dégagé de la loi de la gravité, comme s’il était désormais d’une légèreté absolue. Et on dirait alors que le monde se divise en deux catégories : ceux qui marchent et ceux qui dansent.
Mais lorsque l’on est humain, on ne peut pas défier la loi de la gravité trop longtemps.
Je pense que c’est voulu de la part de Malick, mais il m’a fallu un certain temps avant de comprendre que cet amour qui rend Marina si légère, cette histoire qui relève du conte de fées, s’est finie dans l’amertume et la tristesse. Perdue loin de sa France, en plein Oklahoma, abandonnée par son mari qui se révèle être un coureur de jupons, ne voyant sa fille que par intermittence, Marina est désormais coulée au sol, elle a perdu cette apesanteur en même temps que son sourire et sa sensualité.


To the wonder est donc, en grande partie, constitué des souvenirs de Marina. Des souvenirs qui donnent au film un caractère a-chronologique. To the wonder ne raconte rien, la réalisation de Malick abandonne tout récit (du moins, toute narration chronologique et cohérente). Plus que jamais, il nous plonge dans l’esprit de ses personnages, et structure son film comme un déferlement de souvenirs liés à des émotions.
Ce qui ne veut pas dire que le film n’a pas de construction. La façon qu’a Malick de mêler les souvenirs joyeux, légers, aériens, des moments amoureux, aux souvenirs lourds, empesés, des moments dramatiques, est lourd de conséquence. Ce sentiment est encore renforcé par le jeu de la voix off : des images du bonheur, mais des commentaires tristes, voire désespérés. Tout cela montre la précarité du bonheur, la fragilité d’un amour humain soumis à tant de tentations et de violence, englué dans les considérations purement terrestres.
A plusieurs reprises Malick nous montre des personnages marchant dans la boue, s’enfonçant dans la glaise. L’image est, bien entendu, fortement symbolique. Nous avons, comme souvent chez Malick, des personnages qui cherchent à s’élever mais restent englués dans le sol. Retrouver l’apesanteur mais être collé au sol, à cette terre.
Une terre empoisonnée, de surcroît. Le film nous montre, à plusieurs reprises, neil enquêtant sur le poison déposé dans le sol par l’industrie et qui constitue un danger pour les habitants.
Donc, si l’on se replace dans une optique de métaphore spirituelle, nous avons des personnages qui oscillent entre élévation mystique et engluement dans un sol empoisonné. L’appel vers la divinité contrecarré par les préoccupations terrestres.


Ainsi donc, l’amour est ce sentiment qui nous élève, qui nous donne confiance en nous et en l’autre, qui nous projette hors de nous-mêmes à la rencontre de l’autre. L’amour désintéressé est sans doute ce qui est le plus susceptible de nous rapprocher de la divinité. C’est un rappel de l’amour divin, qui inonde le monde avec sa lumière (ici, comme dans Tree of life, la lumière est essentielle, elle est omniprésente, même dans les moments de détresse, peut-être même SURTOUT dans les moments de détresse, car c’est dans ces moments-là que nous en avons le plus besoin). Louis-Ferdinand Céline disait “L’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches”, c’est exactement ce que nous montre Malick ici, une part de la divinité confiée à l’humain.
Mais l’amour humain n’est qu’un pâle reflet de cet amour divin. Les hommes sont trop englués dans leurs préoccupations terrestres pour se laisser entièrement guider par la divinité.


Marina n’a qu’une compréhension instinctive, pas vraiment consciente ni raisonnée, de cette importance de l’amour pour élever les humains, de cet amour sans lequel nous ne sommes pas complets. Elle en sent les effets en elle, elle devine cette version supérieure d’elle-même.
Le personnage du prêtre, lui, en a une connaissance plus intellectuelle. Il sait ce que l’amour, la “charité” telle qu’elle est définie dans la Bible, peut faire de nous, mais il semble la chercher.
Certes, le prêtre fait tout ce que sa fonction lui dicte de faire : rendre visite aux malades et aux affligés, aller distribuer ‘eucharistie aux prisonniers, faire de très beaux sermons… Mais on sent que cela ne lui suffit pas, qu’il erre toujours à la recherche de cet amour pour l’autre.
En règle générale, il semblerait que, dans ce film, la religion ne soit qu’un ensemble de rites codifiés insuffisants à élever l’homme. Il suffit de voir cette scène de mariage glauque, torché à toute vitesse, avec des prisonniers menottés comme témoins. Des rites vides si on ne leur accorde pas le sens qui leur donne de l’importance.
Une fois de plus, Malick accorde beaucoup plus d’importance aux émotions ressenties qu’à un quelconque récit. Le cinéma malickien, c’est l’impression sur l’image, par le mouvement, la lumière, les couleurs et les sons (dont la musique, toujours essentielle), des sentiments des personnages. C’est, bien entendu, beaucoup plus flagrant dans des films comme celui-ci, qui abandonnent l’idée d’une narration structurée classique, ce qui leur permet non pas de ne rien dire, mais de dire autre chose, et peut-être même de dire plus.
Il est intéressant de voir comme tout, ici, semble mis en sourdine : la voix off de Marina murmure, et même la musique est mise en mode mineur. On murmure comme on le ferait dans un lieu sacré (ce type de lieu sacré représenté par Le Mont Saint-Michel, qui semble être un immense doigt dirigé vers le ciel). La Merveille est là, elle est tout autour de nous et surtout elle est en nous. A nous de la voir, de la capter, et de nous élever avec elle.

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le 18 juil. 2020

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SanFelice

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