L’eau s’étale sur la baie du mont saint-michel, obligeant les deux amants, qui jouaient sur le sable, à regagner la terre ferme, en s’éloignant doucement de leur rêve d’amour qui paraissait hors de la vie. 

Une fois encore, contre vents et marées, Malick nous répète inlassablement que l’innocence n’est pas une question d’âge, qu’elle est en chacun de nous, enfouie dans nos vies, et ne demande qu’à renaître à la faveur d’un vent porteur de désirs et d’espoirs. Dans le film, c’est le souhait d’un amour rédempteur, d’un droit au bonheur universel, qui pousse deux trentenaires a lier leurs destins, jusqu’à décider de concrétiser leur rêve en Amérique, pays d’origine de Neil, où Marina, avec sa fille de dix ans, décide de s’installer avec lui.
Hélas, le temps de l’amour, l’éternité, n’est pas le temps du monde, de ses lois et de ses exigences, qui semblent si injustes à nos âmes égarées, déboussolées. La société, le temps qui passe, les pulsions, les désirs contradictoires des deux amants, déchaînent ces sentiments ambivalents mêlés de haine, de crainte et d’espoir. L’amour, qui se reflète dans le regard de l’autre et se selle à la volonté de deux, est un songe fragile, fragile dans les cœurs et fragile aux épreuves du monde. Il s’évanouit, mais ce qui le fait naître, cette étincelle chère à Malick, demeure. L’innocence trahie reprend la route, malgré le voile de l’amertume, elle se sent reconnaissante d’avoir cru en l’espoir d’une renaissance, d’un nouveau départ, et d’avoir pleinement vécu tout ce temps-là.


     Malick filme, comme à son habitude, avec cette légère contre-plongée qui fait penser à une fugue enfantine et innocente, en même temps qu’elle donne l’impression que, tantôt les éléments du décor convergent et s’abattent sur les protagonistes, comme un monde qui les entrave, tantôt fuient vers un horizon indéfini, comme un songe qui leur échappe. C’est beau, c’est esthétiquement très réussi, ce dont le seul plan du bassin d’Apollon à Versailles pourrait témoigner. 
Mais le souffle de vie qui portait les personnages avec force et authenticité, comme dans les moissons du ciel ou la ligne rouge, semble ici retombé. Et l’amour et les désillusions des deux amants paraissent évanescents à la longue, pour ne pas dire lassants. La voix off qui prend un peu de contenance quand il s’agit des prêches du prêtre, s’étale en complaintes interminables par ailleurs, à se demander si on est pas en train d’écouter la prose du prozac. Les moments de rupture, les infléchissements du récit, sont quelques peu bâclés et donnent l’impression que tout coule comme une eau de source qui se noircit avec le temps. Peut-être est-ce là une volonté du cinéaste, mais la narration, à mon sens, s’en retrouve désincarnée. Il n’y a qu’à voir cet amour que Neil noue avec une jeune femme blonde quand Marina est repartie, passage que Malick expédie en dix minutes, comme s’il retournait une crêpe : la jeune fille s’en retrouve alors toute retournée, « anéantie » par son histoire d’amour comme elle le dit en voix off, mais il n’en paraît rien, car le fil ténu du récit rend la chose indolore.
Malick en demande trop à l’imagination et à la sensibilité du spectateur, et ces amants, qu’il fait souvent marcher à dix pas l’un de l’autre, peut-être eut-il fallu, à certains moments, davantage les rapprocher pour mieux les séparer. Enfin, dans ce manège qui tourne un peu à vide, le jeu des acteurs reste convenable, encore que Ben Affleck reste à des années lumières de l’oscar. Monsieur est tout guindé, Ben est un Ken et restera un Ken, et ferait mieux de retourner derrière une caméra. La scène où il étreint sa chéri dans son lit et se laisse baiser les joues est jouée avec tant de rigidité, que sa tête en extase fait penser à celle d’un fermier qui se fait lécher les joues par son chien au milieu d’un champ, en pensant « qu’il est doux le toutou. »
Tous ces éléments d’appréciation que je porte à votre lecture me font conclure que ce film m’a quelque peu déçu, et que je n’ai pas été transporté comme je l’ai été dans les précédents films de Malick, cinéaste que j’apprécie par ailleurs beaucoup.

A mon sens, ce film est le plus faible de son œuvre et il ne reste plus qu’à espérer qu’il se reprenne pour le prochain, et qu’il retrouve son innocence et sa fougue d’avant !

Créée

le 12 août 2015

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