Parfois, il y a des films dont je découvre l'existence peu de temps avant sa sortie en salles. C'est le cas de A mon âge je me cache encore pour fumer, dont le titre était intriguant en évoquant beaucoup de choses dans mon esprit. Après Je danserai si je veux, c'est un nouveau film parlant des femmes par des femmes, au sein d'une société patriarcale.


Nous sommes à Alger en 1995, Samia (Fadila Belkebla) a 29 et demi et habite toujours chez ses parents, en attendant que l'homme de son rêve vienne frapper à sa porte. Elle parle de son plaisir de regarder l'horizon de sa terrasse, mais de devoir filouter pour s'y rendre en faisant la lessive puis de l'étendre sur cette fameuse terrasse qui est un moyen de s'évader, avant que la liberté daigne venir à sa rencontre. En attendant, elle est masseuse dans un hammam avec Fatima (Hiam Abbass), une femme mariée subissant la violence de son homme. Ce lieu est le seul moyen d'échapper à ces mâles les soumettant en brandissant le coran, dont ils interprètent les sourates selon leur bon vouloir.


Rayhana; à ne pas confondre avec Rihanna (je n'ai pas pu résister, pardon); adapte sa propre pièce au cinéma. Sa caméra est fébrile, surtout dès que l'action s'emballe au cœur du hammam et dans les rares incursions en extérieur. Elle ne maîtrise pas ce nouvel accessoire, qu'elle utilise pour la première fois dans un exercice des plus difficile au cinéma, le huis clos. Son côté théâtral est parfois agaçant dans son exagération, dans la façon dont les actrices surjouent en étant au bord de la crise de nerfs. On pourrait faire un raccourci rapide en affirmant qu'elles ont le sang chaud, ce qui explique leurs comportements, à moins de crier comme Fatima que c'est dû à ses règles. Ce serait misogyne de ma part et je finirais lapider pour avoir tenu ces honteux propos. En fait, c'est juste une question de sensibilité et le jeu outrancier des acteurs(trices) au théâtre, m'insupporte. Alors que la poésie des pensées de Samia offrait un ton léger, on va être rapidement mis dans un état d'énervement face au mari de Fatima abusant de sa femme contre son avis, on appelle cela un viol conjugal. C'est comme ça que l'on va vivre ce film, en passant de la tendresse à la violence. On nous laisse un peu respirer en tirant une taffe, avant de replonger dans l'angoisse qui étreint ses femmes en résistance face à l'oppression des hommes.


Le hammam est une zone neutre, le seul endroit ou les femmes peuvent se mettre à nu au sens propre, comme au figuré. Elles parlent librement de leurs vies, loin des oreilles des hommes. Elles se cachent pour fumer, pour parler et pour montrer leurs visages. Dans les rues d'Alger, le FIS (Front Islamique du Salut) les surveillent, les jugent et exécutent celles et ceux qui ne suivent par leurs préceptes. C'est dans cette atmosphère oppressante, qu'elles tentent d'exister, de se soutenir et de résister à ces fanatiques. La pénurie d'eau n'aide pas à vivre dans des conditions acceptables et ce lieu leur permet de prendre soin de leurs corps en retrouvant leur féminité. Elles en profitent pour s'épancher sur leurs maris, famille et le passé. C'est parfois drôle, mais souvent douloureux. Comment ne pas se sentir mal devant une dame racontant la nuit de son mariage à l'âge de 11 ans, avec l'homme lui offrant des bonbons et qui maintenant lui tend sa virilité. C'est épouvantable et inhumain, comment une société peut accepter ce genre de comportement, c'est de la pédophilie et ça me rend malade.


Elles ont différents visages. Ce sont des femmes mariées, veuves ou célibataires. Des femmes de caractère ou soumise. Des femmes jeunes et moins jeunes, vivant dans un certain confort ou dans la misère, mince ou forte, au verbe haut ou discrète. Elles sont plusieurs, mais ne font plus qu'une en ce lieu ou leurs corps et esprits peuvent respirer, du moins en apparence. L'homme n'est jamais loin et agit à travers celles dont il a asservi l'esprit pour propager leurs discours nauséabonds. Le bruit des explosions perturbent la quiétude du lieu, comme les coupures d'électricité et d'eau. Elles veulent s'émanciper, mais l'homme est derrière la porte, attendant de les remettre en laisse.


C'est brut, cru, violent, stressant mais aussi drôle et tendre. On détourne parfois le regard par pudeur face à ces corps nus, en se demandant si en tant qu'homme, on a le droit d'assister à ce moment de cinéma. La gêne se dissipe dès que la nudité se fait moins présente et qu'on a identifié les personnages. L'arrivée de Biyouna détend l'atmosphère, cela devient franchement drôle mais ce n'est qu'un autre moment de répit. Le sang appelle le sang et le mâle veut rendre sa justice divine selon ses propres préceptes. La vie est une chienne et l'homme en est son humble serviteur.


Il y a de nombreux défauts dans ce nouveau film, surtout dans sa mise en scène. Mais cette incursion dans l'intimité de ces femmes bafouées nous met dans tout nos états. On a l'impression de les regarder par le trou de la serrure, d'être un intrus mais aussi de vouloir être un rempart face à la folie de ses hommes aveuglées par leur égoïsme, en faisant de la femme un objet au service de leurs exigences. Une oeuvre difficile, mais à vivre en oubliant pas de sourire pour survivre.

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7
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le 26 avr. 2017

Critique lue 576 fois

Laurent Doe

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