1992... Alors que je venais au monde, certains ne perdaient pas leur temps. Un petit court métrage déjanté dans le ventre, et voilà qu'Alex de la Iglesia nous pond quant à lui son premier long métrage, cette merveille venue d'on ne sait où. Amusant de constater que ce réalisateur aux films "sociaux" monstrueux, viscéraux et névrosés aura commencé par la science fiction, pour ne plus jamais revenir dessus. Hélas! ai-je envie de dire, puisque ce genre est particulièrement compatible avec son cinéma si particulier fait de pathos et d'absurde. Le film flirt également avec la série B sans jamais tomber dedans. De la Iglesia est avant tout un héritier de ce cinéma d'exploitation grindhouse et autres slashers movies des années 70 / 80 qui savaient ne pas se prendre au sérieux. Mais au contraire, au lieu de faire kitch, il ressort de ce film un feeling de cinéma d'auteur.


Et toute la force de De la Iglesia est de parvenir à insérer dans ce ramassis de crasse et de sang un discours, un réel message social de fond, et c'est selon moi ce qui fait une œuvre SF réussie. Ainsi parvient il, un peu comme dans Le crime farpait qu'il réalisera plus tard, à critiquer le monde des médias, de la publicité, de l'image, de ce "système" qui met au pinacle le superficiel beau et discrimine l'anormal, le laid. Et ainsi met il, fidèle à son art du contre-pied, pertinemment en valeur une troupe de bras-cassés, et ridiculise t il les médias, dont un traitement quasiment similaire -le culte de l'information instantanée au détriment de toute raison et de toute humanité- avait d'ailleurs été fait une décennie plus tôt dans la bande dessinée L'incal de Jodorowsky et Moebius. On peut même tenter de distinguer dans ce premier film ce qui fait et fera la patte de l'auteur : la succession de situations parfaitement absurdes (le fait même que les terroristes soient handicapés est une "inversion des rôles" aussi brillante que lorsque le prêtre Ángel Beriartúa s'évertue à faire le mal dans Le jour de la bête, ou lorsque le casanova Rafael González se voit contraint de se donner corps et âme à un laideron dans Le crime farpait), l'exposition décomplexée du pathos (les frères siamois littéralement à moitié tués ne sont pas loin du clown "maquillé" au fer à repasser de Balada Triste), l’omniprésence du gore jamais vraiment outrancier, ou encore les fameuses envolées hystériques de la fin du film (comment ne pas citer une fois encore Balada Triste...)


Mieux encore, on peut s'amuser à trouver dans ce film des références, véritables ou non, qui pourraient avoir conditionné sa création, ou inspiré d'autres. Ainsi pense t on naturellement à Star Wars alors que le film baigne dans la même ambiance désertique et mal famée qu'on peut trouver à Tatooine et dans ses bars. De la Iglesia pousse le vice jusqu'à utiliser les mêmes très typiques volets de transition pour passer d'une scène à l'autre. Ainsi pense t on encore à la revue de bande dessinée Metal Hurlant, qui mélange également SF, sexe et violence, et à Mad Max, un autre road trip fait de poussière, de gros flingues et de nana. Ainsi, enfin, pense t on à Terry Gilliam, à L'armée des 12 singes naturellement (qui ne sortira qu'en 1995) mais plus globalement à sa manière bien à lui de filmer la paranoïa, que ce soit pour mettre en scène le tripé Hunter S. Thompson dans Las Vegas Parano (1998), ou pour représenter de manière nerveuse et hallucinée un troupeau de fonctionnaires dans Brazil (1985). J'ai même entendu de ci de là des rapprochements avec les comics Flash gordon et Judge Dredd que je n'ai jamais lu. Pour finir, je donnerai ma main à couper que Luc Besson a pensé les policiers du Ve élément à l'image de ceux de ce film qui ont la putain de classe.


Un film, donc, aussi improbable qu'il est indispensable.

DoubleRaimbault
9
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le 29 mars 2014

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DoubleRaimbault

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