Toute odyssée raconte au fond la même histoire, c'est en tout cas ce que nous apprend Homère. Ici l'odyssée à beau être spatiale, elle est liée à une quête sur les origines. Ulysse n'aspire qu'à retrouver son foyer. L'astronaute McBride n'aspire qu'à retrouver son père. Plus il part aux confins du système solaire et plus il revient sur sa propre histoire.


La dimension psychanalytique de l'Odyssée, le voyage comme recherche de ses origines, Kubrick l'avait très bien comprise avec 2001. Il signait le premier film de ce genre dans la SF et tous les autres allaient lui emboiter le pas par la suite. Ad Astra reprend habilement de cette dimension du voyage spatial comme retour vers le passé, en utilisant un design rétro. Les navettes semblent guère différentes des nôtres, les modules ressemblent à ceux des missions Appolo.


Le voyage spatial est pourtant devenu banal, du moins jusqu'à Mars, 19 jours depuis la Lune. Les bases spatiales sont des grandes villes aéroportuaires, envahies de touristes et de fast food. Selon la planète, elles prennent le ton et les couleurs des lieux : une base minérale, grise et froide pour la Lune, une base rouge et poussiéreuse pour Mars.


Le film distille aussi quelques interrogations intéressantes : les référentiels médicaux et psychologiques basés sur une mesure permanente de vos données corporelles (on ne peut que penser à Blade Runner ou 2001), les sas de décompression, immergeant dans des environnements oniriques pour oublier le vide de l'espace (Sunshine avait déjà lancé cette idée). Niveau technologique le film prend le parti pris de l'ascenseur spatiale depuis lequel on peut relier Lune et Terre facilement, et de l'antimatière qui sert plus ou moins de carburant si j'ai bien compris. L'ensemble de l'univers SF déployé est très réaliste et plausible, puisque technologiquement il parait presque accessible (alors que non). Etrangement le robot et l'ordinateur sont des figures assez absentes. L'idée la plus intéressante est celle de la colonisation sur laquelle le film s'attarde avec cynisme : les Starbucks sur la Lune, moyen d'enlaidir tout ce que l'homme habite. Chaque nouvel astre conquis devient l'objet de guerre, de pillage et d'enlaidissements inexorables.


Nous suivons donc le périple d'un astronaute (Brad Pitt, sobre et classe) à la recherche de son père disparu (le toujours excellent Tommy Lee Jones) il y a vingt ans dans les environs de Neptune. Il voudra le sauver avant de comprendre que son père doit mourir. L'image de héros qu'il avait de lui (cosmonaute le plus titré de l'histoire) s'écorne au fur et à mesure. Son père est devenu fou, a tué son équipage. Pire, il vit dans l'illusion qu'il trouvera une forme de vie extraterrestre et c'est là que le film livre son message le plus intéressant : cette quête a échoué. Aucun signe de vie. L'univers est vide. Tout ça pour ça. Même la quête de son fils est vaine. Il vient pour ne voir que son père mourir.


"L'important ce n'est pas la destination, c'est le voyage" disait Stevenson. Finalement ce qui compte, c'est le résultat de la transformation et des sacrifices consentis pendant le voyage, pas tellement de savoir si l'objet de sa quête à réussi. Ce qu'on aime chez Ulysse c'est son voyage, pas son retour, car son retour annonce la fin. On apprécie son ingéniosité à se sortir de toutes les épreuves. L'humanité a échoué a trouvé d'autres formes de vies, mais elle a mis tout son génie au service de cette quête. Elle sort grandi de ce défi irréaliste. L'astronaute Mc Bride revient sur terre changé, moins solitaire, son problème paternel résolu. Il a grandi. Il n'est plus le fils. D'une certaine manière, il a tué son père.


Le film hélas est parfois trop allusif. Il se perd aussi dans des scènes inutiles : course poursuite, singes mutants... Son aspect contemplatif, sa lenteur indolente, sa musique cristalline (Max Richter) donnaient déjà tout ce qu'il fallait au spectateur, sans oublier les voix off qui offraient une analyse amère et cynique sur le voyage. Il aurait pu s'agir d'une odyssée introspective aux confins du système solaire mais trop souvent le film se bride et laisse un peu en dehors. Il y a aussi des facilités : les planètes qu'on longe sans effets de gravité, pour produire des purs plans graphiques, des survies miraculeuses.. Reste quelques séquences à l'esthétique assez vertigineuse, suffisante pour nous faire profiter un peu du voyage car l'important c'est le voyage, pas sa finalité.

Tom_Ab
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le 17 janv. 2020

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Tom_Ab

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