Après Two Lovers,  La nuit nous appartient, ou Lost City of Z, j'ai jubilé en apprenant que James Gray allait faire un film de SF. Résultat, c'est indubitablement du James Gray en SF.
Il est évident que le réalisateur amoureux des bons acteurs et des relations compliquées ne s'intéresse pas ici aux distorsions de l'espace-temps ou aux techniques de voyage spatial ni même à l'astronomie. Un minimum de travail a été fait pour garantir la plausibilité du contexte, mais l'intérêt n'est pas là. Comme on pouvait s'y attendre, Ad Astra est de ces films de SF d'auteur dans lequel l'espace sert à représenter le vide d'une âme en perdition, sa solitude, ou en l'occurrence, son égoïsme inavoué. La langueur caractéristique des films de James Gray, parfois plombante, atteint ici son paroxysme et constitue le sujet en même temps que le paysage du film.
Fans de SF, méfiez-vous, nous ne sommes pas ici dans un espace de spéculation, mais bien dans un vide interstellaire métaphorique. Un vide intersidéral pour figurer la vacuité intérieure de Brad Pitt, remarquable de non-expression torturée à cause d'une simple et banale relation père-fils bigrement bien traitée. La métaphore de la distance à parcourir pour se mettre au clair avec cette relation fonctionne parfaitement. Elle est annoncée dès le départ. Il suffit d'apercevoir dans les dix premières minutes la photo de Tommy Lee Jones pour deviner que cette figure paternelle parfaite va engluer le reste du film. Qui s'embêterait à prendre Tommy Lee Jones pour un personnage de second plan ? Le choix de l'acteur est habile, peu-à-peu, de photo, il passera à vidéo, le fantôme prend forme à mesure qu'on s'en approche.
Tommy Lee Jones en fantôme pesant, voix off blasée auto-dépréciative, ellipses soignées pour maintenir un rythme lancinant, tout est réuni pour un film de SF poétique chiant. Mais c'est trop expressif pour que l'ennui s'installe. La faute à la superbe lumière entre autres qui exploite le concept à fond. On est en SF, dans des lieux qui n'existent pas (encore), une station lunaire (oui, ça ressemble à 2001, c'est obligé, d'un autre côté il y a pas de raison de construire une base lunaire d'une autre manière), une station martienne, des stations spatiales, personne ne sait vraiment à quoi ressemble une lumière réaliste, donc on y va, on fait correspondre les ambiances lumineuses à l'état d'esprit morose de Roy McBride (Brad Pitt). De cette manière, lorsque le personnage est mis à mal et patauge dans sa mission personnelle, le voilà en train de nager dans l'eau fangeuse en ombinaison spatiale. Et moult images de ce type. Quant au son, il utilise tous les attributs de son absence dans l'espace pour se mettre au service d'un récit introspectif. Nous sommes les oreilles de McBride et donc par la même occasion, ses pensées.
L'idée simple de la relation au père, en étant le sujet bateau assumé, parvient à mener un suspense. Il est intéressante de mettre cette relation en parallèle avec le film précédent du James Gray, Lost City of Z, dans lequel un père de famille passait son temps à s'évader de son foyer à la recherche désespérée d'une civilisation amazonienne. Le jeune fils y cherchait à renouer une relation avec son père en l'accompagnant dans sa passion. Dans Ad Astra, nous voilà en train de suivre le fils, admiratif de ce père, lui aussi en évasion sous prétexte de chercher une civilisation extraterrestre.
Alors que le père de Lost City of Z poursuivait le but noble de prouver qu'en Amazonie, les humains sont aussi intelligents qu'en Grande Bretagne (à qui l'Histoire a donné raison), ici, le père brillant par son absence, a du mal à trouver grâce à nos yeux. Et c'est là que James Gray amène son gain de sel à notre imaginaire collectif.
En effet, la Terre se porte mal (un très court texte nous le dit en introduction). Sa maladie est représentée, encore une fois, grâce à une formidable simplicité d'écriture, par des coupures de courants. Certains pensent alors que l'avenir de l'humanité réside dans ce grand froid vide noir bien trop grand, flatteur d'égoïsme et de solitude. James Gray donne ici une vision très tranchée de la conquête spatiale. L'espace, fascinant et d'une beauté certaine, n'a d'intérêt qu'en ce qu'il peut nous rappeler à quel point il est hostile et ne laisse place qu'à un individualisme forcené. Alors le voyage ne sert qu'à enfin comprendre la nécessité d'être présent au foyer. La famille pour McBride, la Terre, pour l'Humanité.
Car si McBride est la figuration de notre présent occidental actuel, il est un individu seul, égoïste, obsédé par une quête personnelle (la seule qui lui fait battre le cœur), constamment dans sa bulle technique qui l'enferme autant qu'elle le maintient en vie, lui permettant de se cacher sous prétexte de se protéger du soleil. McBride découvre dans ce tout technique que dans les nouveaux territoires reviennent les guerres pour les ressources (superbe scène d'action un brin Mad Max), il découvre un seul élément de Nature, un animal foutrement en rogne contre les humains. Si le père explorateur du début du XXè siècle avait malgré ses défauts un but humaniste, son obstination égoïste et ses désirs de repousser les frontières n'est plus compatible avec notre époque ; et c'est à nous, son fils, plein de reconnaissance autant que de rancune envers lui, de nous détacher de son état d'esprit pour nous consacrer enfin à notre foyer.
Pequignon
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le 19 sept. 2019

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