L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le
silence déraisonnable du monde.



Et quoi de mieux pour illustrer le silence que le vide de l'espace ?


En voyant le film de James Gray, la célèbre de citation de l'auteur du mythe de Sisyphe a tout de suite résonné en moi. Dans Ad Astra, Roy McBride (Brad Pitt) y est tout de suite présenté comme un personnage seul et solitaire, tel Meursault de l'Etranger. On suit sa quête pour retrouver ses racines dans un monde froid où il ne parvient pas à trouver sa place.
La quête obsessionnelle de sa fantomatique figure paternelle, Clifford McBride (Tommy Lee Jones), renvoie singulièrement à l'homme révolté à la recherche d'un sens face à l'absurdité du monde. Celle-ci se traduit dans le film avec une traditionnelle interrogation du cinéma de science-fiction : existe-t-il une vie intelligente en dehors de la nôtre ? Sommes-nous seuls dans l'univers ?
Dans la veine mélancolique d'un Blade Runner 2049 et filmé avec la précision d'un First Man, on vit la déliquescence mentale du héros aux qualités indéniables (sang-froid, compétence, rigueur morale) à mesure qu'il s'enfonce dans une solitude à la fois spatiale (littéralement) et affective (sa femme l'a quitté, l'organisation militaire pour laquelle il travaille le met à l'écart avant de le considérer comme indésirable). Ce voyage, qui vire à l'obsession auto-destructrice tel celui du capitaine Willard dans Apocalypse Now, est entaché de péripéties montrant l'hostilité de ses congénères à travers une scène de poursuite lunaire, et surtout un passage horrifique très réussi impliquant un cobaye simiesque ayant échappé aux tentatives de contrôle humaines. Mais comme disait le grand Kubrick, pour paraphraser Camus : "ce qui est le plus terrifiant avec l'univers, ce n'est pas son hostilité mais son indifférence."
L'indifférence et le silence, le protagoniste y aura largement droit par la suite. D'abord avec la mort de ses compagnons de voyage, puis lorsqu'il retrouve enfin son père, qui n'est plus que l'ombre de la figure héroïque que s'en faisait son fils. Clifford McBride n'est qu'un vieillard au regard fuyant, qui perd même jusqu'à son élan vital lorsque son fils lui fait réaliser l'absurdité d'une quête à laquelle il ne trouvera aucune réponse.
Après la traversée des ténèbres, le film se termine sur un songe enfin lumineux, où Roy se prépare à retrouver son épouse, ayant enfin résolu (trop proprement ?) son conflit intérieur et pansé sa blessure primordiale (l'absence du père).



Conclusion :



"Un grand oui pour le message philosophique, la maîtrise de James Gray et la vision singulière et profondément personnelle qu'il a su imposer sur un film à gros budget. Les amateurs de SF spatiale pesteront contre l'invraisemblance de certaines cascades (le bond à l'aveugle et ultra-précis de Brad Pitt pour retrouver son vaisseau spatial, se servant d'un simple panneau pour se protéger de débris voyageant à une vitesse balistique), tandis que les non-initiés pourront être rebutés par la lenteur et la froideur de l'ensemble, néanmoins nécessaires à la cohérence avec le thème sous-jacent."

DxDx
8
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le 21 oct. 2019

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El Mutur

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