Un Dupontel appliqué pour un film rafraichissant !

Au fil des ses réalisations, Albert Dupontel a inventé, créé, imaginé toute une galerie de personnages, décalés et recalés de la société, des marginaux sans vraiment l’être. Ce genre de type qui vit depuis des années avec sa solitude et ses tords, sans jamais en prendre conscience jusqu’au jour où tout bascule. Perdus dans une société où le train de l’évolution est parti sans eux, ces individus sont ceux restés sur le quai, avec leurs couacs et leurs dysfonctionnements sous le bras. Pas étonnant que Dupontel soit d’ailleurs tombé amoureux des soldats créés par Pierre Lemaître, et notamment d'Édouard Péricourt: cette gueule cassée qui retrouve la joie de vivre grâce aux masques qu’il fabrique. Les protagonistes chez Dupontel sont aveugles ou suicidaires, ils ont dû abandonner leur gamin, ils tombent enceinte sans savoir comment, ils sont échappés de prison, ils sont veufs... Mais surtout ces personnages sont poétiques. Ils sont beaux quand ils se rencontrent, quand ils se complètent et surtout, quand ils s’aident, entre accidentés, pour se battre contre une forme de normalité dominante, bien souvent imposée par la société.


Cette maîtrise des personnages n’est rien sans un choix précis dans le casting. Ses acteurs, des premiers rôles aux simples apparitions, sont toujours impeccables, et particulièrement les rôles féminins. Imaginez seulement "Neuf Mois Ferme" sans Sandrine Kiberlain. Adieu les Cons s’inscrit dans cette maîtrise, avec Virginie Efira dans le rôle principal. Quand ça n’est pas une avocate qui tombe enceinte sans mari, c’est une coiffeuse qui s’empoisonne avec ses laques. Tendre et touchante, Efira porte le film en formant avec Albert Dupontel, un duo autant étonnant que détonnant.


Le choix des acteurs est toujours millimétré, en effet, même quand il s’agit de ceux qui restent à l’écran quelques secondes. C’est ce florilège d’apparitions et de seconds rôles qui façonnent aussi, au fil de l’histoire, les murs de cet univers, ce tableau des personnages cassés. On prend plaisir à trouver au détour d’un hall d’entreprise ou d’une chambre d'hôpital des visages que l’on connaît grâce à Youtube, le duo du Palmashow, Grégoire Ludig et David Marsais, le créateur de bref, Kyan Khojandi, ou encore, Bastien Ughetto, l’acteur et réalisateur des courts-métrages des Parasites (une chaîne youtube qui réalise des petits bijoux qui valent le coup d’oeil). On retrouve également Nicolas Marié, "Bernie", "Le Créateur", "Neuf Mois Ferme", cette fois-ci grimé en un administratif aveugle aux noeuds papillons colorés. Mention spéciale également à un Jackie Berroyer en pyjama, qui sait, en un regard caméra, vous toucher en plein le coeur.


"Adieu les Cons" porte en lui la trace laissée par la réalisation léchée d’"Au Revoir Là-Haut". Avec un réel travail des couleurs chaudes et de la géométrie au sein du cadre, l’univers de Dupontel ne se déploie désormais plus uniquement au travers de ses histoires mais bien de ses images. Nombreux sont les plans où l’on trouve les personnages perdus dans des univers qui ne leurs correspondent pas. Ils dénotent dans ces open space trop carrés, dans ces hôpitaux trop gris ou ces boîtes d’informatiques trop sombres. Avec Dupontel, il y a de la poésie même abandonnés au milieu d’un rond point désert. On retrouve cet art de la mise en scène des pétages de plombs qui offre ainsi plusieurs belles scènes, douces et amères à la foi. L’épitaphe qui ouvre le film: "A Terry Jones" est d’ailleurs comme un indice, car on est bel et bien dans le décalage à la Monty Python. Il y a également du Jean-Pierre Jeunet, avec ces couleurs et cette poésie dans l’insignifiant. De réalisation en réalisation, Dupontel développe sa plume et sa caméra et nous offre ainsi un film travaillé de plan en plan.


"Adieu les Cons" c’est un commentaire amer et poétique sur le temps qui passe trop vite dans cette drôle de société à la fois restrictive et déshumanisée où les personnages se réveillent à la fin de leur existence et s’animent d’une quête qui va devenir leur but. "Adieu les Cons" c’est une balade dans la folie douce de Dupontel, c’est un moment où l’on se fait trimballer par des personnalités atypiques perdus dans ce joyeux bordel. En un mot: un film drôle et touchant qui nous embarque sans même nous prévenir pour notre plus grand plaisir !


Critique à retrouver sur : http://www.planete-cinephile.com

Mariannemqt
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le 17 juil. 2020

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