Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, je pense que l’honnêteté nous impose à tous d’au moins reconnaitre cette qualité-là à Albert Dupontel : il fait partie de ces rares cinéastes créatifs et formalistes qu’on a en France.
Moi c’est ce qui fait que, quoi qu’il fasse, je me déplace toujours pour découvrir les œuvres qu’il nous sort. Et même si je ne suis pas client de tout, à chaque fois j’estime ne pas avoir été dupé.
Il y a toujours quelque-chose à prendre chez Dupontel. Il y a des idées. Il y a des images. Il y a de la tendresse…
Seulement voilà, avec cet « Adieu les cons » je me rends compte d’une chose : l’air de rien l’ami Dupontel en est déjà à son septième film et les premières traces de redondances – voire de facilité – commencent à se faire sentir.


Alors certes, Dupontel reste Dupontel.
Difficile de cracher dans la soupe quand on se rend compte qu’un auteur se livre à une préoccupation presque maniaque de la belle image, du bon rythme, du bon mot.
C’est peut-être même dans ce film que la mécanique Dupontel est la plus évidente.
Chaque tirade est lancée à la mitraillette, appuyant bien sur les intonations. Les échanges sont rapides, s’amusant régulièrement de décalages dans l’interprétation des mots, ce qui créé à la fois un effet comique et un effet dramatique, chaque personnage étant renvoyé à sa propre solitude ; à l’incompréhension du monde extérieur.
Et l’effet est d’autant plus efficace que l’image vient appuyer le mot, avec des plans parfois très serrés sur les visages, des ombres venant accentuer les traits de chacun pour que ceux-ci soient les plus expressifs possibles. Chaque acteur ne manque d’ailleurs pas d’aller très loin dans l’expression faciale. Les têtes bougent vite, les émotions affichées très marquées et s’enchainant à coups de ruptures très nettes, comme dans un bon vieux Charlot ou autre Buster Keaton.
Dupontel use à l’envie des mouvements brusques et d’une rythmique appuyée afin de s’assurer que l’image parle tout autant que le mot (et surtout qu’ils disent la même chose.)
Et en bon cinéaste sensible qu’il est, le grand Albert sait ensuite créer des moments de respiration où le style change du tout au tout : la frénésie burlesque laissant soudainement la place à l’instant de douceur, au calme, au sentiment.
Tout ça s’enchaine telle une partition, avec une rythmique maitrisée sur le bout des doigts. Et tout cet emballement s’accompagne d’une vraie générosité dans l’image. On sent l’envie de ne pas se moquer des gens ; de ne pas se contenter du banal plan-plan comme c’est trop souvent le cas dans le cinéma hexagonal.
Il faut offrir. Il faut créer. Il faut être généreux.
C’est justement tout ça qui fait que j’aime Dupontel, et c’est aussi notamment pour tout ça que j’aime globalement cet « Adieu les cons ».


Seulement voilà, à vouloir trop remplir ses films, Dupontel finit parfois par manquer d’idées, ou du moins il ne parvient pas à faire en sorte qu’elles soient toutes de la même facture.
A côté des idées malicieuses et originales se trouvent parfois des mécaniques assez grossières. La scène d’intro en est d’ailleurs une illustration assez criante.


Pour ma part, autant j’ai apprécié le jeu de face-à-face où chacun des deux héros se retrouve confronté à de la langue de bois – les duo Efira-Lanners et Dupontel-Uchan s’en donnant d’ailleurs à cœur-joie – autant je suis resté sceptique sur le bon vieux coup des gens qui se trompent en permanence dans la prononciation du nom de l’autre, et surtout j’ai presque été mal à l’aise sur le champ/contrechamp où on découvre que le héros est parti pendant que l’autre continuait de déblatérer son verbiage creux. Cette chaise qui tourne dans le vide – c’est terrible – mais ça m’a fait penser à une pub du CIC… Et franchement, c’est juste triste que de faire une connexion dans son esprit entre le cinéma d’Albert Dupontel et une pub du CIC. Aïe…


Malheureusement, assez régulièrement, le film souffle le chaud et le froid. Il enchaine le bon et le moins bon.
Parfois il fait mouche, parvenant tantôt à être très drôle…


(J’ai adoré par exemple l’échange absurde entre Kurtzman/Philippe Uchan et le psychologue antiterroriste incarné par Jacques Vuillermoz.)


…tantôt à être touchant…


(Je pense notamment au retour du docteur Lint chez lui.)


…mais parfois – malheureusement – le film en fait trop, insiste beaucoup et devient presque lourd.


(Par exemple le personnage de l’aveugle joué par Nicolas Marié sait certes être drôle et touchant à la fois, mais il répète sans cesse les mêmes choses et reproduit assez régulièrement le même type d’humour burlesque. Une fois ça marche, mais au bout d’un moment c’est trop.)


Alors certes, à bien tout prendre le malin l’emporte largement sur le lourdaud en termes purement quantitatif, ce qui pourrait faire de ce problème un élément négligeable du film.
Mais le souci c’est que cette lourdeur – pour ne pas dire ce manque de subtilité – il survient en des instants-clefs qu’il aurait mieux fallu ne pas louper.


(Par exemple la scène où Suze / Virginie Efira rentre enfin en contact avec son fils ; lequel parvient ensuite à accoster la belle qu’il convoite depuis longtemps, chez moi ça n'a pas du tout marché. Cette scène est vraiment forcée de toute part. Personne ne réagit comme il le devrait, notamment la jolie Clara qui semble être particulièrement touchée qu’un geek silencieux la stalke depuis des mois.)


Et le pire, c’est qu’à bien tout prendre, la scène la plus loupée reste pour moi la scène par laquelle le film se conclut. Et ça, ça fait quand-même mal. Ce n’est pas ce qui nous laisse dans le meilleur état d’esprit en sortant de la projection.


(Parce que oui, cette conclusion, je la trouve balourde au possible : rien ne marche. Une situation qui tombe un peu comme ça sans qu’on sache pourquoi. Des policiers qui crient à Virginie Efira qui prend son flingue. Un « Adieu les cons » bien lourd à ce gel final de l’image qui s’étale dans le temps et laisse un silence comme s’il s’agissait d’un haut instant tragique censé nous nouer le cœur alors qu’il aurait mieux fallu y aller à la coupe sauvage et enchainer directement avec le générique de fin et la Mano Negra. Pour le coup ça aurait été bien plus dans le ton de tout le film. Plus cynique que tire-larmes. Plus enlevé que mollasson.
A dire vrai, cette tâche finale, je ne la comprends pas. Venant d’un gars comme Albert Dupontel, j’avoue que ça me laisse plus que dubitatif.)


Mais bon, tout ça ne me fait pas revenir sur ce que j’ai pu dire quelques lignes plus haut.
Ce film est certes désordonné, de qualité variable, et parfois maladroit, il n’empêche qu’il est aussi généreux, enlevé et qu’il tente beaucoup de choses.
Et puis comment ne pas se délecter d’un tel casting d’acteurs – comprenant jusqu’à Terry Gilliam – qui se régale à pousser leur jeu jusqu’au bout ; qui plus est au service d’un vrai cinéaste ?
Seulement voilà, à force d’enchainer les films, avec cet « Adieu les cons », Dupontel finit par dévoiler ses ficelles.
Et sitôt voit-on les ficelles que l’illusion et la magie commencent à tomber quelque-peu.
Pour ma part c’est ce qui m’est arrivé et c’est un petit peu ce que je pleure avec ce septième long-métrage de ce bon Albert.
Car si le cinéaste semble se soulager par ce film en criant un violent « Adieu les cons », moi je soupire quelque-peu après l’avoir vu en marmonnant « au-revoir là-magie…
…En espérant malgré tout qu’on se revoie sous peu. »

Créée

le 24 oct. 2020

Critique lue 1K fois

14 j'aime

Critique lue 1K fois

14

D'autres avis sur Adieu les cons

Adieu les cons
Sullyv4ռ
8

Les émotifs anonymes

Dans un monde ravagé par le Covid-19 je pense qu'il faut se faire plaisir au quotidien et une avant-première du dernier film de Dupontel tombait à point nommé. Je savais à peu près à quoi m'attendre...

le 6 juil. 2020

115 j'aime

12

Adieu les cons
Plume231
7

Les Temps modernes !

Le nihilisme décomplexé des premiers films de Dupontel a totalement laissé la place à l'humanisme généreux, mais pour voir une œuvre aussi sombre et aussi désespérée (on a envie de dire réaliste dans...

le 21 oct. 2020

108 j'aime

8

Adieu les cons
Zeudhomme
5

Critique de Adieu les cons par Zeudhomme

Le film n’est pas mauvais, Dupontel a clairement un savoir faire et une patte artistique qui lui sont désormais propres, c’est indéniable. Mais dans ce métrage et cette histoire, il y a un côté un...

le 12 oct. 2020

92 j'aime

7

Du même critique

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

235 j'aime

80

Ad Astra
lhomme-grenouille
5

Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

206 j'aime

13

Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
2

Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

158 j'aime

122