Après un certain nombre d’années en France et à l’étranger, le vétéran Costa-Gavras revient sur ses terres natales avec Adults in the Room, qui nous plonge dans les coulisses de la toute récente histoire grecque, et ses relations tumultueuses avec l’Union Européenne.


La proéminence de la politique dans le cinéma de Costa-Gavras ne date pas d’hier, et ce n’est pas son dernier film qui va déroger à la règle. Nous ramenant à l’année 2015, alors que la Grèce est frappée par une crise sans précédent et étouffée par une dette abyssale, le parti Syriza, mené par Alexis Tsipras, prend le pouvoir, avec la promesse d’affronter la situation avec fermeté, notamment vis-à-vis de l’UE. À ses côtés, Yanis Varoufakis, nommé Ministre des Finances, qui va être l’un de ses principaux lieutenants, et qui va mener les discussions avec les principales instances de l’UE. Adults in the Room s’intéresse d’ailleurs principalement à ce dernier et à sa lutte acharnée pour le sauvetage de la Grèce et sa réhabilitation.


C’est principalement autour de divers échanges avec différents représentants et ministres des pays européens, et de grandes réunions impliquant la fameuse « Troïka » (terme définissant la Banque Centrale Européenne, le FMI et la Commission Européenne) que s’articule le film. À travers ces discussions et ces réunions, Costa-Gavras veut montrer l’opposition entre un système tout puissant et un pays qui tente de s’en sortir par ses propres moyens, refusant la soumission et, surtout, faisant tout pour rester fidèle à ses convictions. Varoufakis est montré comme un personnage à la volonté farouche, qui suit les règles mais qui fait les choses à sa manière. Il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, il joue autant que faire se peut la carte de l’honnêteté mais n’hésite pas de temps à autre à employer la ruse, et le contraste entre la délégation grecque et les autres va jusqu’à la tenue vestimentaire, avec cet homme à chemise ouverte et portant toujours son sac à dos, au milieu de représentants en costume tous uniformes.


Costa-Gavras cherche ici à illustrer la mort d’un idéal, ou, même, de deux idéaux. D’une part, c’est la destruction progressive d’un idéal soutenu par les Grecs, celui d’une relance économique par des moyens leur permettant de ne pas être soumis à la toute puissance des institutions européennes. D’autre part, c’est aussi la mort de l’idéal européen, qui n’est plus porté par un idéal commun, mais par la somme des idéaux de chacun, ou, plutôt, par la somme des intérêts de chacun. C’est une assemblée riche de plus d’une vingtaine de délégations d’autant de pays différents, mais certains, notamment, dans ce cas précis, l’Allemagne, mènent la danse pendant que les autres demeurent silencieux et suivent le mouvement. Ici, Costa-Gavras illustre le cas de la Grèce des années 2010, mais cette situation est transposable dans bien d’autres contextes, avec un discours général sur la capacité à résister à la pression du groupe, à faire fi d’un sens commun qui ne nous correspond pas, mais qui, au fil du temps, devient de plus en plus utopique. C’est l’un des fils rouges de la filmographie de Costa-Gavras, que l’on retrouvait déjà dans Z, par exemple, avec l’image d’une contestation violemment réprimée par le pouvoir en place et elle-même dévorée de l’intérieur à cause de la pression politique.


Adults in the Room n’est pas un film toujours facile à suivre, nécessitant une connaissance minimale du contexte et de l’actualité des faits ici racontés. Assez technique, explorant les coulisses de la politique et de l’économie, il suit d’ailleurs un rythme relativement soutenu qui demande au spectateur d’être en mesure d’emmagasiner rapidement une certaine quantité d’informations pour rester au fait des tenants et aboutissants du film. Cependant, même si la réalisation du film reste relativement classique, le discours qu’il tient véhicule une certaine force et demeure limpide. L’Europe est pointée du doigt, mais cela n’empêche pas au film d’avoir une portée plus large. L’image d’un monde où le rêve n’est permis que lors de quelques fulgurances, avant d’être écrasé par la réalité.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 15 nov. 2019

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