Bienvenue au pensionnat des âmes défuntes, dans le monde post-mortem imaginé par Hirokazu Kore-Eda dans son très réussi et onirique After Life. Réalisé en 1998, ce film, moins connu auprès du public occidental que ses plus récents Nobody Knows ou Still Walking, mérite pour autant que l’on s’y attarde un peu. Comme son titre l’indique, l’histoire se déroule après la mort (ou dans une sorte de phase de transition après la mort) qu’elle eut été soudaine, volontaire ou inattendue. Chaque défunt est étrangement convié dans un collège désaffecté, accueilli chaleureusement par une petite équipe d’une dizaine de personnes responsables du lieu. Ici, pas de jugement dernier, pas de paradis non plus ni d’enfer, mais plutôt une série d’entretiens individuels où le défunt va devoir replonger dans l’histoire de sa vie pour ne garder qu’un seul souvenir avant sa véritable et définitive mort. Au cours de cette semaine de transition, les employés de ce lieu étrange et paisible doivent tout faire pour reproduire le plus fidèlement possible ce souvenir à travers un court film qu’ils réalisent eux-mêmes. Les morts pourront assister à une unique et ultime projection du souvenir sur grand écran avant de s’en aller définitivement.


Le film est tourné à la manière d’un documentaire : les employés interviewent au tour à tour les défunts « de la semaine » pour essayer de les aider à trouver le souvenir qui leur tient le plus à coeur ; que ce soit le souvenir d’un frisson ressenti dans une attraction à Disneyland ou bien le souvenir d’un semblant de fraternité entre américains et japonais pendant la guerre, chacun pourra revivre une ultime fois une scène capitale de leur existence. Shiori et Mochizuki font parti de ces employés du pensionnat qui travaillent à reconstruire la mémoire des défunts. La tâche n’est pas aisée pour tous : certains comme Watanabe ne trouvent rien de bien palpitant à leur précédente vie tandis que d’autres comme Iseya refusent catégoriquement l’idée de devoir revivre un moment « qui n’appartient qu’au passé » et préfèrerait revivre un rêve ou une scène d’un potentiel futur.


After Life s’articule dans un monde étrange, un monde clos faisant parti de notre monde à nous. Même morts, certains personnages du pensionnat semblent encore attachés à leur vie passée et sont tentés de s’immiscer une nouvelle fois ce monde réel encore si proche pour ressentir la nostalgie heureuse du souvenir. C’est le cas par exemple de Shiori dont les sentiments vont encore évolués au cours du film même après la mort (on la devine amoureuse …). En témoigne cette scène à l’atmosphère fantomatique magnifiquement filmée par Kore-eda dans les rues électriques japonaises où l’on voit Shiori fuir dans un monde auquel elle n’appartient plus. La mise en scène du cinéaste dégage une certaine poésie.


Enfin, After Life est également un hommage à la fonction même du cinéma, une mise en abîme perpétuelle du métier de réalisateur (de la construction des décors à la projection). Kore-Eda nous montre que le cinéma est un moyen précieux pour saisir à nouveau les émotions perdues ou passées. C’est sur ce même principe que les défunts vont uns à uns éprouver une dernière émotion lors de la projection de leur « meilleur souvenir » comme nous pouvons retrouver la trace d’un souvenir enfoui seulement en allant au cinéma. Le cinéma permet au spectateur d’identifier dans les films des éléments qui lui sont familiers, qu’il peut rapprocher à sa propre vie pour éprouver ne serait-ce qu’un instant le plaisir du souvenir. En cela, After Life possède un côté universel qui fait de lui un grand film, un témoignage poétique sur la capacité du septième art à nous transporter dans le passé. Pour autant, tout cela n’est que fiction et Kore-eda ne tarde pas à nous le rappeler notamment avec cette très belle lune que les employés observent dans les couloirs du pensionnat à travers une alcôve et dont on s’aperçoit que c’est finalement un décor bien placé pour raviver chez les pensionnaires les sensations que l’on peut éprouver en contemplant l’astre.

GabriëlSalmon
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le 9 juin 2016

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Gabriël Salmon

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