Aga (Galina Tikhonova), petit phare bleuté, au couvre-chef jaune ciré, et que l’on ne découvrira que dans l’avant-dernière scène du film, la tête basculée vers le ciel et pleurant comme un loup, mais qui aimantera l’ensemble de cette seconde réalisation de Milko Lazarov, après « Aliénation » (2012). Sedna, sa mère (Feodosia Ivanova), avait souhaité une réconciliation entre Nanouk (Mikhaïl Aprosimov), son mari, et leur fille partie au loin, travailler dans une mine de diamants. C’est finalement sa propre mort qui sera l’occasion de ce rapprochement et de ce pardon.
Le réalisateur bulgare situe cette intrigue simple et universelle sur les terres gelées de Iakoutie, une république russe s’étendant au nord-est de la Sibérie. Les paysages, grandioses, immaculés, tantôt démesurément scintillants de blancheur, tantôt hérissés de blocs de pierres dont la beauté hiératique rendrait dérisoire toute tentative de sculpture prétendument artistique, y tiennent le premier rôle, parfois traversés par une minuscule silhouette humaine qui ne tarde pas à sortir du plan, les rendant à leur impassibilité. L’image, tournée sur pellicule, s’étend dans un format étonnamment étiré, légèrement arrondi aux angles, pour ne rien perdre de l’immensité qui s’offrait à la vue et à la caméra.
L’hommage au grand ancêtre, « Nanouk l’Esquimau » (1922), de Robert Flaherty, est évident, hautement revendiqué par le prénom même de l’homme, soulignant ainsi la portée ethnographique du film ; sa nostalgie, aussi, accentuée par l’irruption, sous la yourte occupée par le vieux couple, de la Cinquième Symphonie de Mahler, au moyen du petit poste de radio apporté par l’unique visiteur, arrivé en moto-neige, le jeune et sculptural Chena (Sergey Egorov), décidément vecteur de modernité. Auparavant, l’ancrage contemporain de cette vie à deux, menée au milieu d’une étendue de neige par ces anciens éleveurs de rennes, n’était perceptible que grâce aux traînées blanches des avions dans le ciel intensément bleu. Au sol, tous les gestes, liés à la pêche, à la chasse, et, sous la yourte, à la préparation des aliments ou à la confection des habits, s’inscrivaient dans le hors-temps de ce qui relève de l’ancestral. Tout comme l’importance accordée aux rêves, chargés non pas tant de refléter un état psychique que d’aider à transmettre un message prémonitoire, dont peuvent se rendre également porteurs les animaux...
Avec beaucoup de délicatesse et de sobriété, avec un sens prononcé de l’esthétique qui combat le risque de naufrage dans la nostalgie, Milko Lazarov signe ici un film humble et magnifique, qui recueille un monde au bord de sa disparition.