Je suis Aguirre. Je suis la colère de Dieu. Je suis le chaînon manquant entre Au Cœur Des ténèbres de Conrad, et les Incroyables Cités d’or, le dessin animé du club Dorothée. Je n’étais fan du dessin animé. Mais je suis fan des cités d’or, mirage qui attire les mouches comme un papier tue-mouches, où elles viennent se coller, et s’empêtrent dedans, jusqu’à sécher sur place. Je suis fan de première heure du film, parce que c’est un OVNI. J’y ai toujours vu un tableau baroque, un cauchemar dans des décors 100% naturels. Je ne sais pas où le mettre sur l’échelle du genre, mais il paraît que c’est un film d’aventures. Peut-être.
Film mytho maniaque par essence. Il semble réaliste, inspiré de faits réels, réécrit avec la fantaisie d’Herzog, mensonge donc. Dès le départ, on nous dit que ces cités sont un leurre, que ça n’existe pas. Dans ce cas pourquoi ces conquistadores tombent-ils dans le piège comme ça ? L’illusion est plus forte que la réalité. Le fleuve amazone est donc un tapis de théâtre. La verdure, un mur, et les arbres le rideau. Prestation des acteurs, et la composition complètement dingue de Klaus Klinski, c’est ouf ! Un vrai malade ! Il paraît que lors du tournage, il faisait même peur aux figurants indiens par sa folie ; moi aussi, il arrive encore à m’impressioner, pourtant j’ai déjà visionné le film, et plus d’une fois.
Herzog ne fait pas d’effort pour enjoliver le spectacle. Caméra épaule, tout le monde sur un radeau de fortune, tous plus ou moins salauds, ou suiveurs, ils ressemblent à des pouilleux perdus dans la jungle. Avec ces éléments assez simples, on arrive à une autre dimension, avec des acteurs qu’il fait jouer de façon théâtrale, comme anachronique, de belles phrases, de beaux habits, bientôt salis par la boue.
Drôle de musique de Popol Vuh. Même le nom du groupe est original. Solennelle, immobile, rituelle, invendable. Elle est tellement étrange que ça colle parfaitement au film.
C’est un rêve qui s’effondre devant nous. Une société en miniature se désagrège. Aguirre se mutine, et prend le pouvoir. Comme il est très malin, et pas téméraire, il embauche quelqu’un qui sera roi à sa place. Il sera conseillé du roi. Le roi d’Eldorado. Et quand l’autre lui dit que le trône n’est pas terrible. Il lui répond qu’un trône, « …ce n’est que quelques planches avec du velours dessus, majesté ». Tout le film est là aussi. Discours sur la fièvre du pouvoir, folie attisé par l’ennemi invisible qui tire des pluies de flèches depuis la forêt. Les indiens. Et l’Amazonie engloutit les héros. Nobles, dames, serviteurs, les canons, le cheval, tout. La fille d’Aguirre qu’il conduit à la mort comme les autres, tout. Et l’angoisse aussi. Les voir passer de gentilshommes à animaux, de valeureux conquérants, à affamés qui bouffent des algues pour survivre, alors que l’autre, le roi, à un festin de « roi »… Lutte des classes en filigrane ?
Un nouveau putch se prépare. Mensonges, trahisons, exécutions après un faux procès…et vogue le radeau. Et Aguirre n’est pas content, car le roi n’est pas à la hauteur. Lui, il a de grandes ambitions, Aguirre. Il a une vision. Angoissant ce film, car on n’arrive jamais à saisir telle qu’elle cette vision, si ce n’est des bribes de phrases toutes plus hallucinées les unes que les autres. Et la voix off du prêtre n’est pas plus rassurante. Elle sort, prophétique, et d’outre tombe. «…Je suis sûr qu’Aguirre nous conduit à la mort. » ?!
Dans ce cas pourquoi ils le suivent tous comme ça, sans se poser la moindre question ? Ça se voit qu’il est fou quand même !!! Peut-être qu’ils le sont tous ? Peut-être qu’Aguirre n’est que la figure de proue d’une folie collective, qu’on appellera naufrage magnifique. Et lui, c’est le bouffon magnétique, et manipulateur.
Le plus original film d’aventures qu’il m’ait été donné de voir. Pour les mordus d’histoire(s) [tout est faux], pour les amateurs de road-movie [antédiluvien], et de film catastrophe psychologiques, [anti hollywoodien]. C’est tellement hors du temps, qu’on touche à un fond d’universel. Le mythe du nouveau monde, déjà en perdition. Immersion totale des acteurs, de l’équipe technique, conflit entre Kinski et Herzog ; le film lui-même, qui a survécu miraculeusement à un tournage aux conditions dantesques. C’est irréaliste, mais ça le devient bougrement vrai, et vécu, et pour cause.
Pour Herzog, (puriste on dirait), les conditions réelles de tournage, doivent influer sur le film. Il y a un imprévu ? Une tornade ? Un tremblement de terre ? On fait avec, et on modifie le scénario. Les conditions de tournage ont faillis avoir la peau du film. Et ça se voit ! Le danger n’est pas feint. La chaleur qui abrutit les têtes petit à petit, n’est pas feinte non plus. La chute de la civilisation, mais menée de main de maître. Une image frontale, une sensation de réalité absolue, d’autant plus vraie que l’histoire est fausse, inventée. C’est le genre de film qui me fait sérieusement me questionner sur la nature humaine.