A l’image d’une Jessica Chastain dans The Tree of Life, Veerle Baetens, interprète phénoménal d’Elise, est un morceau de vie fragile, incandescent et gracieux. De ce qui raconte la Vie au travers de leur existence ou des marques laissés sur leur peau. Elise, elle, taille sa vie à l’encre et trouve dans ses tatouages l’écho de chacune de ses errances, de ses moments de bonheur et refoule, retrace ses déboires, ses tristesses pour vivre une nouvelle vie. De l’autre côté, Didier, porté par l’immense, l’animal Johan Heldenbergh, trouve sa voie dans la musique, ses croyances dans les accords de son banjo ainsi qu’une forme d’apesanteur dans celle-ci. Leur histoire d’amour commune, empreinte par le grand cinéma de Felix Van Groeningen, fou, libre et magnifique, offre l’un des objets cinématographiques les plus singuliers et les plus virtuoses de cette année 2013, marquant le cinéaste de l’empreinte du grand cinéaste prometteur.

Après la Merditude des Choses en 2009, qui dévoilait l’apparence autobiographique du cinéma de Van Groeningen, Alabama Monroe transpire la grandeur et la démesure dans ce lieu pourtant intime et gravitationnel qu’est l’histoire mêlant Didier à Elise. Au fil d’un récit déstructuré à l’extrême, divisé en actes, en phases émotionnelles, où le couple vit et dévie vers des accents de folie, crie à l’injustice d’un monde qui ne les entend pas, Alabama Monroe fait partie de ses films lunatiques, dont le bonheur d’un instant peut renvoyer directement vers un malheur, une infinie tristesse qui empoigne soudainement le spectateur. Dans la quête personnelle qui lie le couple, ce combat contre la maladie, contre les cruautés de la vie, Alabama Monroe s’attache à un autre film, La Guerre est Déclarée de Valérie Donzelli, en adoptant une radicalité bien plus affirmée, montrant l’enfant dans la douleur et le désespoir, le couple après le choc et la souffrance s’agripper à eux pour ne semer que le trouble dans leur amour. Au travers de diverses séquences musicales – car Alabama Monroe est aussi un film musical, qui souligne l’évolution du couple au fil des chansons –, les salles de concert s’agrandissent, prennent en hauteur, comme un ballon de bonheur et de haine sur le point d’exploser. Jusqu’à la fin du film, la mise en scène est énergique, passionnée, époustouflante par moments, un peu maladroite aussi.

Dans la folie des images, merveilleusement mises en lumière par Ruben Impers, le tout a parfois l’air d’un ensemble dont l’hétérogénéité se révèle être son plus grand atout et son plus embêtant défaut. Par une temporalité éclatée, un esthétisme presque trop éclectique (les allures quasi-psychédéliques vers la fin), Alabama Monroe a beau ne pas perdre de sa puissance originelle, ce flot d’émotions continu qui fait toute sa réussite, l’audace de Felix Van Groeningen aura de quoi déboussoler.

Mais comment peut-on oublier, renier les incroyables performances de son casting, dont la générosité et le réalisme de chacune, dévoile un peu plus le talent du cinéaste à mettre en image la fiction et à y faire cohabiter une part de réalisme si crevante, à y injecter une justesse si omniprésente. Jusque dans sa dernière séquence, bouleversante, où Van Groeningen boucle son métrage comme il l’avait commencé, Alabama Monroe demeure ce grand film où l’innocence de l’amour se voit confronter à la cruauté de la vie et ses injustices qui demeurent dans celle-ci. Une innocence qui laisse place à une maturité qui se vit aussi via la musique et qui, vers cette transformation en «Alabama Monroe», arbore ce couple vers une forme de renaissance et d’unification.

Terrible et bouillonnant de vie, Alabama Monroe – ou The Broken Circle Breakdown dans son titre original – est un film sur la passion, les rêves et les amours qui se déchirent, rassemblent et divisent. Porté par un duo d’acteurs exceptionnel et une mise en scène magistrale, The Broken Circle Breakdown confirme le talent rare d’un cinéaste comme Felix Van Groeningen : celui de parvenir à créer du naturel dans un genre qui manque trop souvent de spontanéité. Avec ce nouveau métrage, le réalisateur flamand a réussi à dépasser les attentes et à livrer ce qui se statue clairement comme l’un des meilleurs films de l’année, intense et dont l’impétuosité qu’il provoque évoque les grandes histoires d’amour d’antan.
Adam_O_Sanchez
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le 25 oct. 2013

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Adam Sanchez

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